Dans le cadre d’un épisode de notre série d’interviews “Parole d’Université”, nous avons eu le plaisir de rencontrer Thierry Coulhon, Président du Conseil d’administration de l’Institut Polytechnique de Paris par intérim. Au cours de cet échange, il est notamment revenu sur son parcours, les raisons de sa prise de fonction à la tête d’IP Paris et a partagé son regard sur les grands sujets et enjeux de l’Enseignement supérieur. 

Par Valentine Dunyach

Dès sa prise de fonction au poste de Président du Conseil d’administration de l’Institut Polytechnique de Paris par intérim en septembre 2023, Thierry Coulhon s’est donné pour objectif de répondre aux grands enjeux nationaux et internationaux en matière d’ingénierie. Avec son arrivée et la publication d’une lettre de mission signée de la Première ministre et des deux ministres de tutelle, l’Institut Polytechnique de Paris a entamé une nouvelle phase de son développement, en renouvelant notamment sa gouvernance -et sa présidence-. Pour le Haut Fonctionnaire, la géopolitique ou le climat sont des sujets ayant déjà largement investi le débat public. À ses yeux, la France n’a pas d’autre choix que de se préparer, face aux grands enjeux -technologiques, d’innovation, environnementaux, sociétaux- de demain. 

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Un parcours brillant au sein des plus hautes instances françaises

Pour Thotis, Thierry Coulhon est revenu sur son riche parcours, entre enseignement et direction des plus hautes instances françaises. 

Thierry Coulhon, Président de l’Institut Polytechnique de Paris par intérim, dit avoir été “aspiré par les livres” dès son plus jeune âge. Sa curiosité et son appétence pour les études l’ont mené à évoluer dans des sphères éloignées de son milieu d’origine, un milieu d’employés et de petits commerçants de province- ses parents “n’ayant pas eu l’occasion d’obtenir leur baccalauréat”, nous confie-t-il, mais l’ayant toujours soutenu.

Après ses études secondaires, il entre en classe préparatoire puis intègre l’Ecole Polytechnique. Il en démissionne, ce qu’il explique ainsi : “J’avais envie de découvrir la philosophie, les mathématiques pures. Et celles-ci ne m’ont pas lâché. (…) J’ai fait une thèse de mathématiques avant d’avoir la chance d’être recruté comme assistant à l’université Paris 6.”, partage-t-il. 

Thierry Coulhon devient  ensuite maître de conférences puis professeur. Au fil de sa carrière, il rejoint rapidement des fonctions de direction. Ancien président de l’Université de Cergy-Pontoise, il a aussi dirigé le programme “campus d’excellence” pour le Mathematical Sciences Institute de l’Australian National University (ANU) puis l’Université PSL, comme il en fait mention lors de notre entretien. 

Entre 2017 et 2020, il occupe la fonction de “Conseiller éducation enseignement supérieur, recherche et innovation” auprès du président de la République, Emmanuel Macron. De 2020 à 2023, il est nommé président du Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), dont la mission consiste à évaluer les universités, grandes écoles et  les organismes  de recherche, notamment le CNRS. 

« Selon les périodes de la vie, on aspire à des postes plus ou moins « méta » », résume Thierry Coulhon, au sujet de ses différentes prises de fonctions, durant sa carrière.

Sur ses prises de fonction à la présidence d’IP Paris 

Au sujet de sa prise de fonction à la tête de l’Institut Polytechnique de Paris, Thierry Coulhon relève avoir d’abord été attiré par la pluralité des missions du poste. Il partage ainsi les raisons de son choix : “Ce qui m’a attiré à la direction d’IP Paris, c’est la conjonction de l’excellence académique, de l’alignement avec les intérêts souverains du pays (militaires, économiques, numériques, etc…) et une porosité incroyable avec le milieu économique. L’opportunité de la présidence d’IP Paris s’est alors présentée”, explique-t-il. Et d’ajouter : “Le poste implique aussi de gérer un collectif.”. 

En effet, né en 2019, l’Institut Polytechnique de Paris s’est bâti sur un socle d’excellence académique, portant les hautes ambitions de la France, en matière d’ingénierie, de technologie et d’innovation. 

En acceptant la présidence d’IP Paris, il y a moins d’un an, le Professeur Thierry Coulhon a accepté de relever un défi ambitieux, collectif et national. IP Paris se positionne aujourd’hui parmi les meilleurs groupes d’enseignement supérieur en sciences et technologies françaises et mondiales. 

Pour Thierry Coulhon, la place d’un établissement d’enseignement supérieur dans les classements est avant tout un indicateur du “niveau de jeu auquel une école peut jouer.” Inutile donc pour une école d’ingénieurs d’être massive pour produire de la qualité ; il prend l’exemple de Caltech : “De taille modeste, Caltech est très bien placé dans les classements.” Et relativise l’importance des classements : “Un classement ne vous aidera jamais à voir la conduite d’un établissement universitaire. L’attractivité des enseignants et des étudiants ne se résume pas à un classement.”. 

Si les classements “ne font pas tout” pour Thierry Coulhon, le Président d’IP Paris explique néanmoins ne pas être satisfait de la place de l’Institut dans le classement de Shanghai ; il soupçonne que les publications ne sont pas toutes correctement référencées et ses équipes y travaillent. 

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La genèse de l’Institut Polytechnique de Paris 

Les raisons de la création de l’Institut Polytechnique de Paris résultent de deux grandes ambitions, selon son président par intérim. Il les caractérise ainsi : réunir les établissements à la pointe en termes de formation d’ingénieurs (excellence académique et en termes de recherche), de création d’innovation et devenir un groupe puissant, au rayonnement national et international. 

Comment fonctionne l’Institut Polytechnique de Paris ? 

Initialement, le plateau de Saclay devait réunir, au sein d’un seul et même projet, 19 établissements très différents. Il a finalement été décidé de créer deux pôles complémentaires : l’université Paris Saclay et IP Paris. Thierry Coulhon explique : “les différentes gouvernances étaient trop éloignées pour espérer à court terme une articulation efficace, alors que Polytechnique et ses écoles d’application souhaitaient  depuis longtemps se rapprocher (il cite le rapport de Bernard Attali)”. 

Une autre évolution est liée au fait qu’Éric Labaye, lors de son mandat, était président de l’Ecole Polytechnique et président d’IP Paris. Les deux fonctions sont désormais disjointes.

Il reconnaît par ailleurs les efforts investis par son prédécesseur dans de nombreux domaines de recherche et d’innovation, à savoir : la santé, l’IA, la sécurité, les industries culturelles et créatives, les matériaux innovants… Des projets développés au sein des 6 centres interdisciplinaires qui sont des projets communs aux écoles d’IP Paris. Thierry Coulhon est confiant quant à l’avenir du groupe. Assuré, il déclare : « Le plus facile pour devenir une référence internationale, c’est de la construire à partir de constituants d’excellent niveau »

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Devenir plus puissant sur le territoire européen et extra européen – l’une des ambitions portées par l’IP de Paris 

Thierry Coulhon estime que certains alliés européens permettront de concurrencer les plus grands établissements internationaux en matière de formation, d’innovation scientifique et technologique : le MIT (Massachusetts Institute of Technology), Caltech (l’Institut de technologie de Californie), le Technion.  Il évoque notamment le développement d’EuroTech Universities alliance – un groupe de 6 universités européennes scientifiques et technologiques-, et bien entendu, de l’Institut Polytechnique de Paris.  

Enseignement supérieur et études scientifiques : le bas blesse en matière de diversité 

“La diversification du recrutement est certainement le point le plus compliqué.”, estime Thierry Coulhon. 

Si le centre “Égalité des chances” travaille à la diversification du recrutement, l’état des lieux en matière de diversité de genre et d’origine sociale dans les études supérieures n’est pas des plus réjouissants. Thierry Coulhon note plusieurs points d’amélioration, prenant pour exemple son lycée d’origine : 

“Dans mon établissement et pour ma promotion en classe préparatoire, au Lycée Blaise Pascal à Clermont-Ferrand, 9 étudiants avaient réussi à intégrer l’X (ndlr. École Polytechnique). Aujourd’hui, le constat n’est plus le même pour les prépas de province. (…) Qu’il s’agisse de diversité de genre ou géographique, nous n’y sommes pas”. Selon lui, un effort doit également être fait au niveau de la promotion des métiers scientifiques. 

 

“Je lutte pour proposer un système de formations tout au long de la vie (…) à travers une diversité d’offres”

Pour Thierry Coulhon, il est important de redonner aujourd’hui aux classes préparatoires, leur étendue territoriale et de les faire évoluer vers plus d’ouverture tout en maintenant leur exigence. Une autre voie de diversification est le développement des CPES, qui prennent le meilleur des classes préparatoires et des licences universitaires. 

Par ailleurs, comme relevé par le Centre Égalité des Chances, IP de Paris a encore des progrès à faire en matière d’égalité des genres. Les femmes ont eu le droit d’intégrer l’École Polytechnique en 1972, avec d’emblée une major de promotion. Par ailleurs, l’arrivée de Laura Chaubard à la tête de l’Ecole Polytechnique -première femme de l’histoire de l’école à occuper ce poste avec le grade de Générale avec un “E”- a participé à faire évoluer la vision du métier d’ingénieur. 

Cette inégalité de genre dans les écoles d’ingénieurs se caractérise ainsi ; à l’X, moins d’un élève sur 5 est une fille. En 2023, selon la CDEFI (la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs), seuls 28 % des effectifs en cycle ingénieur étaient féminins. “La  réforme du lycée était une bonne chose ; mais il faut être vigilants sur les choix d’orientation des filles.”, constate Thierry Coulhon.  “Concernant la féminisation (…) on ne monte pas assez vite. Il va falloir mettre des actions en place, car nous avons affaire à des auto-censures très profondément ancrées chez les filles.”

Inciter les chefs d’établissements à orienter les élèves vers des carrières scientifiques, expliquer les spécialisations et passerelles qui existent vers la médecine, les sciences… Pour Thierry Coulhon, des solutions existent pour faire croître le volume d’effectifs féminins vers les études d’ingénieurs. Il rappelle ainsi : “L’ingénierie est aujourd’hui utile à la médecine, à la biologie… Et pas seulement au numérique et à l’industrie. ”

À ses yeux, le fait d’avoir eu une Première ministre issue de Polytechnique peut également constituer un rôle modèle pour les jeunes filles. 

 

Label et accréditations : “Il faut réguler par la qualité.” (T. Coulhon, Président d’IP Paris) 

Passé lui-même par la prépa, Thierry Coulhon  se dit conscient de la nécessité de faire évoluer les options d’orientation d’études supérieures, pour répondre à une demande existante : “Le public et le privé non lucratif ont leur dignité et peuvent remplir l’un et l’autre des missions de service public. Mais le jeu se doit d’être équilibré. Par ailleurs, certains acteurs lucratifs font aujourd’hui de la qualité. Il s’agit d’orienter au mieux et de réguler la qualité par l’évaluation, pour que nos jeunes trouvent ce qui leur convient en termes de formation.”, explique-t-il. 

Diversifier l’offre de formations pour s’adapter à la demande des étudiants et leurs familles

CPGE, CPES, Bachelor… Je n’aime pas beaucoup les débats de chapelles. Ce n’est pas une génération qui doit s’adapter à l’offre de formations disponibles, mais l’inverse.”, partage Thierry Coulhon. Il détaille sa pensée : “Il faut proposer un éventail des formations professionnalisantes courtes et de longues études.” Enfin, selon lui, le débat se trouve davantage dans la communication des grades, visas, de ces formations, à destination des familles d’étudiants : “Pour les familles, la distinction entre les diplômes nationaux, grades,  visas, titres RNCP est incompréhensible. ”.

Serait-il possible d’opérer un label entre les sphères de l’académique et du professionnalisant via un nouveau label ? “Le Hcéres a des propositions en ce sens”, indique Thierry Coulhon.