Au début du mois d’avril 2024, Thotis a eu le plaisir de rencontrer Federico Pasin, Directeur de HEC Montréal. Histoire de l’établissement, relations franco-canadiennes, enjeux contemporains en termes de formation… Au cours de cet échange, il a partagé son regard sur le milieu de l’enseignement supérieur. Par Valentine Dunyach
« HEC Montréal a vu le jour en 1907. Pour comprendre son évolution, il est indispensable de comprendre son histoire. », déclare en préambule Federico Pasin, Directeur de HEC Montréal.
« La Chambre de commerce de Montréal souhaitait qu’on dispose d’une institution pour former des gestionnaires (ndlr.1 ou « managers ») francophones. On s’inspirait des écoles de commerce européennes, c’est pourquoi on a choisi des européens comme premiers dirigeants de l’école. HEC Montréal, créée par la chambre de commerce, s’est ainsi façonnée dans la plus pure tradition européenne. Une pratique considérée alors en Amérique, à l’époque, comme révolutionnaire », explique Federico Pasin. Pour l’homme à la tête de l’établissement, l’Amérique du Nord avait pour habitude de valoriser ses établissements avant tout par la recherche universitaire. HEC Montréal se définit notamment, depuis sa création, par son caractère hybride et novateur dans un écosystème ; alliant une haute performance en termes de recherche et une reconnaissance par le milieu des affaires. Federico Pasin souligne à ce propos : « HEC Montréal s’est construite avec cette idée qu’une école doit former des gestionnaires (ndlr.2 ou « managers ») dont l’employabilité doit être exemplaire. ». Il précise : « …Des jeunes gens capables de travailler immédiatement dans une organisation et d’y apporter des résultats tangibles. ».
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Comme le souligne le directeur de la grande école de commerce, HEC Montréal a pris le soin de maintenir cet équilibre-là. Grâce aux témoignages de nombreux étudiants, Federico Pasin s’en remet à cette conclusion : « Certains étudiants nous soufflent souvent : ‘Nous sommes en Amérique du Nord mais j’ai l’impression d’être dans une grande école européenne’ ou encore ‘Vous êtes la plus européenne des Nord-Américaines ou la plus américaine des nord-européennes’. C’est très révélateur. » Il prend aussi l’exemple des grandes écoles de management européennes, qui ambitionnent de faire croître la diversité des effectifs internationaux. Au début, HEC Montréal était très centrée vers les francophones. Puis, avec l’arrivée de la révolution tranquille dans les années 1960, les francophones se sont davantage ouverts au monde. Véritable référence en matière d’international, « HEC Montréal dispose du plus grand programme d’échange international du Québec », se félicite Federico Pasin. Pour preuve, la moitié des étudiants de HEC Montréal, voire encore davantage, est amenée à vivre au cours de son parcours d’études, plus d’un trimestre à l’international. La grande école propose ainsi plusieurs programmes multilingues, notamment un Bachelor (BAA) dont les langues d’enseignement sont le français, l’anglais et l’espagnol.
Tremplin pour les locaux, l’école de management canadienne constitue également une véritable plateforme pour les gens d’ailleurs souhaitant rester sur le territoire. À ce propos, Federico Pasin précise l’intérêt pour un étranger de suivre ses études au sein de l’école qu’il dirige : « HEC Montréal est une excellente option pour quelqu’un qui veut rester au Québec après ses études. Il profite, dans un territoire nord-américain, du phénomène de francisation”. Et d’ajouter : “Même s’ils suivent un de nos programmes en anglais, ils ne manqueront pas les occasions de faire progresser leur niveau de français sur le campus.” Pour autant, tous les étudiants de HEC Montréal – et notamment certains Canadiens – ne souhaitent pas forcément rester au Québec. En cela, l’établissement voit arriver et partir un nombre équilibré d’étudiants, au fil des années. Il explique :
« À HEC Montréal, on est dans un flux inversé de population. Les gens qui viennent d’ailleurs et qui veulent s’intégrer restent et ceux du pays qui veulent s’ouvrir au monde partent ou encore œuvrent dans des organisations locales dont les opérations sont principalement internationales. », détaille-t-il.
De nombreux français font le choix de rejoindre HEC Montréal, une fois leur bac en poche ou plus rarement après une année de classe préparatoire. Selon lui, leur défi principal, en arrivant dans son établissement, est d’abord celui d’être éloigné de sa famille, si jeune. Il développe ainsi sa pensée : « On a l’impression, à 17-18 ans, d’être déjà adulte. Et pourtant, on se rend compte qu’il n’y a pas une unique façon de vivre, de travailler… Éloignés de leur famille, les étudiants vivent leurs premières expériences seuls, sans le soutien de leurs parents. Il y a souvent, pour les étudiants français, une perte des repères au départ. Cela donne, au bout du compte, des diplômés extrêmement résilients. » Lorsque l’on évoque les disparités culturelles entre les deux pays, Federico Pasin souligne la différence de balance entre les cours et les examens, qui perturbe parfois certains étudiants français. Il développe : « On s’aperçoit que le système français laisse peu de place aux temps morts dans les études, avec un rythme toujours relativement intense. Au Québec, surtout à l’université, il est possible de n’avoir aucun examen pendant plusieurs semaines, mais un nombre d’examens et de travaux extrêmement condensés par la suite. Les étudiants français doivent ajuster leur rythme et savoir mieux planifier à long terme.
À découvrir également : Thotis Post Bac : notre rubrique dédiée à l’orientation Post Bac ! Le Directeur de l’école de commerce canadienne rappelle : « HEC Montréal a pour visée de former des leaders responsables et d’impact. ». Il porte son regard vers les principaux enjeux de demain : “Les objectifs de l’école doivent évoluer, durant les 25 prochaines années. L’un d’entre eux consiste à former de bons gestionnaires, capables de mesurer et d’agir sur l’empreinte écologique… La faisant devenir une donnée au moins aussi importante que la rentabilité financière. » Des objectifs bien différents d’il y a trente ans, lors de son arrivée au sein de l’établissement. Quels nouveaux outils devra-t-on développer ? Comment développer une école qui a un impact sur sa communauté ? Pour répondre à ces enjeux contemporains de taille, Federico Pasin reconnaît l’utilité de questionner certains sujets. Il revient notamment sur la période de la pandémie due au Covid-19, exemple révélateur, à ses yeux, de la nécessité de la recherche : « Nous devons avoir des universités qui s’attaquent aux bonnes questions et des chercheurs qui prennent le risque de s’exprimer sans être certains à cent pour cent quitte à faire état des incertitudes et à reformuler leur conclusion une fois que des données supplémentaires sont disponibles sinon ils laissent la place à des charlatans qui eux n’auront pas de scrupules à s’exprimer. ». Pour lui, il est essentiel d’accorder la primauté à la parole scientifique et de faire valoir sa pertinence : « Pendant la pandémie, on a vu à quel point il est important que ce soient ceux qui ont la connaissance qui s’expriment. », détaille-t-il.
« Je vois la France comme un pays qui a pris récemment beaucoup de grosses décisions concernant l’éducation, l’enseignement supérieur – peut-être trop d’un coup – et qui a eu raison de le faire. », confie Federico Pasin. Face à la baisse du niveau en mathématiques et plus globalement dans les matières scientifiques des étudiants français, HEC Montréal a dû réagir. Federico Pasin souligne : « Il y a eu énormément d’innovations ces dernières années, concernant les options au lycée et la baisse d’attractivité des prépas en France. De notre côté, nous avons conçu notre programme de façon à ce que, dans le tronc commun, tous les étudiants aient une base en mathématiques, en sciences de gestion, et même en programmation. La baisse du niveau en mathématiques nous a obligés à ajuster nos programmes en ajoutant des séances de cours qui couvrent des éléments de base au début du programme. »
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Ingénieur de formation, Federico Pasin a franchi les portes de HEC Montréal il y a 30 ans. Fier de ses « racines diverses » – comme il le confie -, le Directeur de HEC Montréal est multilingue ; français, anglais et italien. HEC Montréal a été, pour celui qui se qualifie de « féru de travail collectif » un milieu très propice pour sa personnalité. Fort de sa formation à l’École Polytechnique de Montréal, il a effectivement eu la chance de résoudre de nombreux problèmes auxquels ses collègues étaient confrontés. Attiré par la pratique de la gestion, il est, à 32 ans seulement, devenu directeur du département de gestion et des opérations de la production. Il se remémore son arrivée à la tête du grand établissement d’enseignement supérieur canadien, en 1994 :
« J’ai été fasciné par le plaisir d’être dans une école de commerce et de gérer une équipe. J’avais certains atouts et c’était facile pour moi ; j’ai beaucoup aimé. J’ai été directeur du Bachelor, découvrant un monde avec les associations et les conférences, le sport… Je suis ensuite allé vers l’international. Mon défi à ce moment-là a été de construire de nouveaux partenariats dans le monde entier. Il y a cinq ans, j’ai été élu au poste de directeur de HEC Montréal par les professeurs et nommé officiellement par le conseil d’administration. », décrit-il.
En lien avec cet article : retrouve notre page Thotis dédiée aux écoles de commerce & de management : À l’écoute de leurs envies et de leur bien-être personnel, de nombreux jeunes décident de se réorienter ou de prendre davantage de temps pour terminer leur cursus d’études. « Les jeunes de ma génération ne se donnaient presque jamais le droit de changer de voie, même si leurs études ne leur plaisaient pas. Aujourd’hui, ce qui est fantastique, c’est qu’ils le font sans problème. », partage Federico Pasin. L’explosion de l’intelligence artificielle dans la vie quotidienne et au cœur des programmes d’études invite par ailleurs les professionnels de l’éducation à revoir leur manière d’enseigner. Au regard de ces évolutions sociétales structurelles, Federico Pasin interroge les réponses apportées à ces nouveaux enjeux contemporains. L’IA, les modifications comportementales des diplômés, rebattent en effet les cartes en matière d’éducation et même de modèle sociétal :
« On ne peut ignorer et ne pas s’étonner de la qualité des réponses d’outils tels que ChatGPT ou Copilot. Ce serait une erreur de ne pas préparer les étudiants à s’en servir. Pour autant, comment être critique en utilisant l’IA ? Désormais, quelles seront les plus-values et compétences clefs des diplômés de demain ? », questionne Federico Pasin. Pour lui, la réponse se trouve avant tout dans la compréhension de l’enjeu par les étudiants, plutôt que dans la mise en compétition avec l’outil. En cela, le directeur de HEC Montréal imagine, pour l’avenir, de nouvelles formes de cours et de modules à élaborer.
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