Cette année, plus de 900 000 lycéens et étudiants ont formulé leurs vœux de poursuite d’études sur Parcoursup. Et parmi eux, certains rêvent de classe préparatoire aux Grandes Écoles. Afin de conforter certaines convictions ou éclairer les candidats encore incertains, Thotis a souhaité donner la parole à deux experts de choix. Delphine Manceau, Directrice générale de NEOMA Business School et Présidente du Concours ECRICOME et Alain Joyeux, Président de l’APHEC (Association des Professeurs des classes préparatoires Économiques et Commerciales) se sont prêtés au jeu de l’interview en regards croisés. Attractivité de la classe préparatoire en France, atouts de la filière, profils de ses étudiants…. Retour sur un échange éclairant et inspirant.

Propos recueillis par Valentine Dunyach et Thibaud Arnoult

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THOTIS. Après une baisse d’attractivité suite à la réforme des prépas ECG, les chiffres se sont améliorés en 2023 sur Parcoursup et les premiers indicateurs tendent également en ce sens pour 2024. Quel regard portez-vous sur ces indicateurs ?

Alain Joyeux :

Effectivement, les premiers chiffres Parcoursup pour 2024 s’avèrent plutôt encourageants. Et c’est naturellement avec beaucoup de satisfaction que nous avons accueilli ces indicateurs positifs. Vous abordez la question de l’attractivité, et sur ce point je trouve qu’il est intéressant de prendre un peu de recul. Les tendances méritent toujours d’être analysées sur plusieurs années, tout en étant remises dans leur contexte. Certes, nous avons rencontré une diminution des inscriptions ces dernières années, mais je ne pense pas que cette baisse soit véritablement liée à la réforme des prépas ECG. La réforme du lycée, qui a impacté de plein fouet l’orientation des jeunes, reste selon moi la principale responsable de ce constat. Cet impact, les acteurs de l’orientation -y compris l’APHEC- ne l’ont pas évalué assez rapidement.

Delphine Manceau :

Je partage pleinement l’analyse d’Alain Joyeux. Cette hausse de plus de 5% des effectifs dans les classes préparatoires ECG en 2023 est une très bonne nouvelle. Après deux ans de baisse, elle redonne du souffle à la filière et m’amène à être assez confiante pour l’année 2024. Comme le dit Alain, le contexte de cette baisse a toute son importance, de même que la mise en perspective sur le temps long. Si l’on regarde les données depuis 2004, on se rend compte qu’il y a 20 ans, 15 600 étudiants faisaient le choix de la classe préparatoire ; aujourd’hui, ils sont 18 300. On ne peut donc pas parler de déclin de la prépa sur le long terme.

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Les Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE)

THOTIS. Quelles autres raisons expliquent que certaines prépas n’aient pas rempli leurs effectifs en 2023 ?

Alain Joyeux :

Avant toute chose, j’aimerais souligner que ce constat ne s’applique en aucun cas aux grandes prépas basées au cœur des métropoles. A contrario, il est vrai que certains lycées de région parisienne, en concurrence directe avec les lycées parisiens, se sont retrouvés en difficulté pour remplir. Et ce fut aussi le cas de certaines prépas en région. Cela s’explique selon moi avant tout par la volonté de certains étudiants de privilégier les grandes villes pour le démarrage de leurs études supérieures. Alors même que je reste convaincu que rester proche de sa famille pour suivre sa prépa est non seulement un confort utile mais aussi un gage de réussite de son premier cycle dans l’enseignement supérieur !

La question de l’auto-censure me semble également centrale. Certains jeunes se disent que ‘suivre une prépa ne vaut la peine que si j’obtiens l’une des 8 plus grandes écoles nationales’. Une réflexion un peu hâtive qui mérite, je pense, d’être nuancée.  En France, comme nous aimons le rappeler à nos élèves de classes prépa, nous avons la chance de compter de nombreuses grandes écoles reconnues pour leur excellence. Intégrer une école à la 15e place du SIGEM par exemple vous donne accès à un diplôme de grande qualité. Les écoles de milieu de tableau ne sont pas des ‘sous-HEC’ ou ‘sous-ESSEC’ et offrent de vraies opportunités de carrière à leurs diplômés.

Delphine Manceau :

Pour moi, cette croyance que seules les « grandes prépas » sont à considérer est un “miroir aux alouettes”.  Une école comme NEOMA recrute des étudiants venant de 157 prépas différentes, c’est dire combien le concours donne toutes leurs chances à des candidats venus de toutes les prépas.

Comme le dit Alain, nos Grandes Ecoles françaises sont des lieux d’excellence. Qui plus est, reconnues comme telles à l’international. Rappelons que dans le classement du Financial Times, parmi les 50 meilleurs Masters in Management du monde, 11 sont des programmes français post classes préparatoires. Et 95 % des élèves passés par la prépa sortent avec un Master 2 en poche, d’une excellente école. Quelle filière peut en dire autant ?

 

 

THOTIS. Existe-t-il toujours des préjugés sur les CPGE ? Si oui, lesquels ? Et comment les combattez-vous ?

Alain Joyeux :

Les clichés sur la prépa ont la vie dure. Ils font, pour ainsi dire, partie des marronniers de la rentrée. Nous, acteurs de la filière, y avons d’ailleurs contribué d’une certaine manière en répétant bien trop souvent ce que la prépa n’était pas. Je crois qu’aujourd’hui il est primordial d’expliquer justement ce qu’est précisément la prépa. Valoriser ses atouts auprès des jeunes, comme de leur famille, est une étape essentielle pour déconstruire ces idées reçues, et donner envie aux étudiants de la rejoindre.

Mettre en lumière les retours d’expérience de ceux qui ont vécu la classe prépa est également important. L’EDHEC publie chaque année une enquête anonyme menée auprès de 2000 étudiants issus de classe prépa. Cette dernière révèle que leur taux de satisfaction est particulièrement élevé. Cette filière se veut avant tout une véritable aventure humaine. N’oublions pas que les premiers réseaux se forment en prépa !  Quant au prétendu élitisme attribué à cette filière, nous devons démolir ces préjugés infondés. J’aime à rappeler que certaines CPGE de région parisienne accueillent près de 60% de boursiers. On le voit, les prépas représentent un véritable ascenseur social. Rappelons d’ailleurs qu’elles sont quasi gratuites, elles ne coûtent que le prix d’une inscription à l’université.

Delphine Manceau :

Je partage pleinement cette analyse, que je complèterais en mentionnant deux études très intéressantes, qui d’ailleurs tordent le cou aux idées reçues sur les prépas : celle réalisée par la CDEFM (Conférence des directeurs d’écoles françaises de management) ou celle de l’APLCPGE (Association des Proviseurs et Proviseurs-adjoints de Lycées à Classes Préparatoires aux Grandes Écoles). Elles établissent toutes deux des constats relativement similaires. Elles nous apprennent, entre autres, que « le prestige » renvoyé par la classe préparatoire est loin d’effrayer les étudiants. Il constitue même un facteur d’attractivité et de motivation pour bon nombre d’entre eux. De même, elles révèlent que 55 % des étudiants passés par la prépa ne comptent aucun membre de leur famille passé avant eux par cette filière, ce qui va à l’encontre de l’idée d’une reproduction génération après génération. Les lycéens ambitieux issus de quartiers populaires sont d’ailleurs séduits par sa gratuité et l’accompagnement qu’elle confère à ses élèves.

Dans l’étude de l’APLCPGE, basée sur une enquête menée auprès de 4 400 étudiants de prépa, 88 % d’entre eux disent qu’ils referaient aujourd’hui le choix de la prépa. Ils évoquent également les bienfaits de la filière tant sur le plan académique que personnel : ‘J’ai appris à mieux me connaître’ ou encore ‘la prépa m’a apporté des amitiés pour la vie’.

 

THOTIS. Delphine Manceau, en tant que directrice d’une grande école, qu’appréciez-vous chez les préparationnaires ?

Delphine Manceau :

Au total, chaque année ce sont 690 étudiants issus de prépas EC qui nous rejoignent, un chiffre auquel s’ajoutent 90 Khâgneux. J’aime à rappeler que NEOMA est l’école qui recrute le plus grand nombre d’étudiants de prépa ; c’est dire combien nous sommes attachés à ces profils ! J’apprécie leur curiosité, la diversité de leurs compétences et de leurs connaissances, leur culture générale, leur agilité, leur ouverture d’esprit… Au-delà d’une force de travail indéniable, ces étudiants ont acquis une certaine maturité, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre. Ce sont des profils qui sont capables de monter des projets de groupe et de travailler en équipe. Pour résumer, la prépa forge des “têtes bien faites” capables de prendre du recul, un véritable atout à l’heure de l’intelligence artificielle.

Selon moi, l’une des grandes forces de la prépa réside dans sa complémentarité avec les grandes écoles de commerce. Je me suis d’ailleurs engagée depuis longtemps dans la défense de cette filière d’excellence. En la regardant dans son ensemble sur 5 ans et non comme un modèle 2+3.

Vous l’aurez certainement compris, j’affectionne particulièrement les élèves de prépa !

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THOTIS. Selon vous, Alain Joyeux, pourquoi la prépa est-elle un investissement sur le long terme ?

Alain Joyeux :

La classe prépa est une rampe d’accès vers les Grandes Ecoles. D’ailleurs, je ne connais aucune autre filière capable de vous assurer une telle réussite. Malgré les années, je reste toujours autant sidéré par la diversité et la richesse des parcours des diplômés issus de ces institutions. Entrepreneur, manager dans le sport, cadres dans des multinationales… les diplômés des Grandes Ecoles françaises évoluent dans tous les secteurs d’activité, et ce partout dans le monde. Leur capacité à se renouveler tout au long de leur vie active, en changeant parfois plusieurs fois de carrière, fait leur force et les distingue.

 

THOTIS. Quels sont les prochains défis des classes prépas ECG ? Revoir la proportion de mathématiques enseignées ?

Alain Joyeux : 

Les prépas ont beaucoup évolué en dix ans, et aujourd’hui la bienveillance prédomine. Nous autres, professeurs de classe prépa, veillons d’ailleurs à ce que cette bienveillance irrigue toutes les facettes de l’expérience de nos élèves dans la filière. Nous les accompagnons dans leurs apprentissages certes, mais nous veillons également à leur équilibre, les encourageons à faire du sport, à avoir une vie culturelle, sociale et affective.

Comme je le disais, notre filière a toujours su se renouveler. Dans mon établissement, par exemple, depuis de nombreuses années, des immersions ou des stages sont mis en place. Nos élèves peuvent ainsi vivre en fin de première année une expérience que ce soit dans le monde de l’entreprise ou associatif. Par ailleurs, loin d’être réduits à de l’abstraction, les enseignements en prépa sont en prise avec les grandes thématiques contemporaine : le changement climatique, l’environnement, la question de la violence, les conflits géopolitiques, les mécanismes économiques, etc. C’est pour cette raison que les enseignements en prépa passionnent les étudiants : ils acquièrent tous les outils et méthodes pour devenir des acteurs responsables, innovants et critiques du monde contemporain.

En ce qui concerne le contenu pédagogique, il n’a jamais été question contester l’importance des mathématiques dans notre formation. Tout manager est amené à manier les chiffres, pour gérer ses ressources, suivre ses performances ou prendre des décisions éclairées par exemple. Sur ce point, la vraie question à se poser serait plutôt la suivante : “Quelles mathématiques sont proposées aux élèves n’en ayant pas fait beaucoup ?”. Nous nous concertons sur ce point et évaluons les différentes propositions. Car il y a différents leviers : les programmes, les dédoublements, etc.

Delphine Manceau :

Comme le dit Alain, les programmes évoluent de manière régulière pour répondre aux besoins d’un monde qui connait des transformation toujours plus rapides et profondes. Personne ne remet en question la pertinence des mathématiques en classes préparatoires. Il faut prendre le temps d’observer les conséquences des réformes précédentes tout en restant vigilants sur les choix de spécialisations au lycée.

 

 

THOTIS. Un conseil à adresser aux étudiants qui vont recevoir leurs premières réponses à leurs vœux Parcoursup d’ici quelques jours ?

Delphine Manceau :

J’aurai plutôt deux conseils pour les futurs étudiants qui s’apprêtent à faire ce choix qui s’avère déterminant. D’abord, n’hésitez pas à discuter avec d’anciens élèves passés par la prépa. L’échange et le partage d’expérience vous conforteront vers la bonne décision pour vous. Enfin, laissez-vous le temps du choix : ce n’est pas parce que vous n’avez pas obtenu la formation que vous souhaitiez dès le premier jour que cela n’arrivera pas.

Alain Joyeux :

Osez la prépa. La prépa n’est pas seulement faite pour ceux que l’on appelle les « premiers de la classe ». Les 15emes de la classe y ont aussi leur place. Gardez à l’esprit que l’échec n’existe pas en prépa. Si un étudiant réalise que ce parcours ne lui convient pas, l’accès à une L2 à l’université par exemple est toujours possible. Enfin, le concours de sortie n’existe que pour répartir les étudiants dans les écoles. En somme, vous ne prendrez aucun risque en osant la prépa !