Thotis a eu le plaisir d’échanger avec Laurent Champaney, directeur général de l’École nationale supérieure d’arts et métiers, sur le rôle et les missions de la Conférence des grandes écoles (CGE) dont il est le président. Il a également partagé son regard sur les problématiques auxquelles l’enseignement supérieur français doit répondre.

Par Valentine Dunyach

 

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Gouvernance de la CGE, nouveau label pour l’enseignement supérieur privé lucratif, idées reçues sur les Grandes écoles… Réélu pour un second mandat au poste de président de la Conférence des grandes écoles en juin 2023, Laurent Champaney a partagé avec nous les grands enjeux de la CGE pour les prochaines années.

La Conférence des grandes écoles, association d’établissements d’enseignement supérieur, regroupe à ce jour 245 Grandes écoles, dont 65 % sont publiques, 32 % non-publiques d’intérêt général et 3 % privées. Le nombre d’inscrits au sein de ces établissements, toutes formations confondues, dépasse, pour la période 2023-2024, les 470 000 étudiants.

Prestigieuses et considérées par leurs détracteurs comme élitistes, les écoles membres de la CGE proposent des formations reconnues par l’État dans des domaines très variés ; agronomie, écoles d’ingénieurs (46,2 %), écoles de management (37,7 %), écoles d’architecture, sciences politiques, création et design, journalisme, défense, sciences politiques, agronomie et agriculture, vétérinaire ou encore santé. Privées ou publiques, elles délivrent toutes un diplôme de grade Master, reconnu par l’État.

Association régie par la loi de 1901, la Conférence des grandes écoles est aussi un organisme accréditeur.

Parmi les dernières actualités de la Conférence des grandes écoles, on relève les nominations récentes d’Hélène Surrel, directrice de Sciences Po Lyon à la vice-présidence de la Commission Vie étudiante et de Frédéric Fotiadu, directeur général de l’INSA Lyon, à la vice-présidence de la Commission Développement Durable et Responsabilité Sociétale (DD&RS).

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Les Écoles de Commerce & de Management

La grande diversité d’établissements publics et privés au sein de la CGE : “une richesse”, pour son président 

Pour Laurent Champaney, la large diversité d’établissements gravitant au sein de la CGE représente une richesse. Si les deux tiers des membres de la Conférence des grandes écoles sont publics, la majorité du tiers restant rassemble des établissements du privé et d’intérêt général (labellisés EESPIG ou autres). Si faire cohabiter divers modèles d’écoles au sein d’une même association peut s’apparenter à un défi de gouvernance, Laurent Champaney y voit plutôt une opportunité. Il explique :

« Les établissements de la Conférence des grandes écoles possèdent des modèles et des spécialités divers, ainsi que des fonctionnements très différents. Cela représente pour moi une vraie richesse, si l’on considère le ‘partage et l’échange de bonnes pratiques’ entre les établissements membres de la CGE. Nous (la gouvernance de la CGE) nous attachons davantage à l’expérience étudiante et à la qualité de la formation délivrée au sein d’un établissement qu’à sa manière de fonctionner. »

« Les écoles de la CGE ne sont pas toutes rattachées aux mêmes ministères et affichent ainsi des objectifs différents ; il serait illogique de formater leur fonctionnement interne », décrit-il.

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Comment définir une grande école en 2024 ? Quel est le rôle de la CGE ?

Les critères d’intégration d’une nouvelle école au sein de la CGE sont rigoureux. En effet, un établissement souhaitant adhérer à la Conférence des grandes écoles doit impérativement répondre à plusieurs critères précis d’exigence. Parmi eux, l’accès à une véritable structure d’enseignement, des approches pédagogiques avérées, un accompagnement des étudiants adapté et des modalités de recrutement réglementées.

« Le modèle des Grandes écoles se calque sur celui des entreprises. Nous formons des cadres adaptés et compétents, capables de répondre aux grands enjeux de ces dernières », partage Laurent Champaney.

À ses yeux, les éléments constitutifs de ce modèle, reconnu en France comme à l’international, sont les suivants : sa sélectivité à l’entrée, des formations proposées dans des petites et moyennes structures, des cursus ouverts à l’international… Un ensemble de points soutenu par le développement des activités de recherche et donc des compétences en termes d’innovation, au sein de ces établissements. « Le taux d’échec en Grande école est extrêmement faible et le taux d’employabilité record », résume Laurent Champaney, au sujet de l’efficacité et de la qualité des formations délivrées par les Grandes écoles.

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Diversité et ouverture sociale : Laurent Champaney souhaite combattre les stigmatisations associées aux Grandes Écoles

Conscient de l’image d’élitisme véhiculée par les Grandes écoles, Laurent Champaney a à cœur d’aller à l’encontre de certaines idées reçues et loue même l’ouverture sociale de la CGE :

« Nous souffrons d’une image très élitiste des Grandes écoles. Pourtant, je dirais que l’ouverture sociale est un élément hyperactif au sein de la CGE. Il faut rappeler que 2/3 des Grandes écoles sont publiques. Certes, nous avons des efforts à faire, mais disposons également de nombreux outils (…) dont des solutions de financement des formations”, explique-t-il.

La plus grande problématique rencontrée par les jeunes à ce sujet est, selon Laurent Champaney, l’auto-censure. Il invite ainsi tous les jeunes candidats ambitieux à ne pas hésiter à demander des solutions de financement, aux Grandes écoles. Il complète : « Un effort qu’il faut faire, car je considère que la Grande école est ouverte à tous. » 

Conscient des efforts à effectuer en matière d’ouverture sociale, Laurent Champaney sait pour autant d’où provient la source de l’image faussée rattachée aux établissements de la CGE : « Les alumni des Grandes écoles sont ceux qui propagent le plus cette image d’élitiste… Une situation qui nous interroge. Nous nous devons de multiplier les actions de communication au plus grand nombre, dans les collèges comme dans les lycées, pour déconstruire cette idée », décrit-il.

Pour Laurent Champaney, il s’agit d’aller à l’encontre des clichés qui pèsent sur la Grande école, en rappelant notamment certains faits : « Dans la tête de beaucoup de gens, les Grandes écoles se résument à HEC, Polytechnique, Sciences Po Paris. Pourtant, la moitié des grandes écoles ont leur siège en province et pour certaines d’entre elles, accueillent une moitié d’effectif de boursiers. »

Parmi les pistes de réflexion envisagées pour faire évoluer cette diversité, Laurent Champaney évoque « des frais de scolarité proportionnels aux revenus des parents », même s’il tempère son propos : « Il reste plus complexe d’évaluer ce revenu pour les étudiants internationaux. »

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Orientation et supérieur privé lucratif : « La France est le pays où il est le plus facile d’ouvrir une école d’enseignement supérieur »

Parmi ses membres, la Conférence des grandes écoles intègre aussi quelques écoles privées lucratives. Laurent Champaney constate l’intérêt grandissant du public français pour de nouvelles offres de formations, qui s’affichent comme plus professionnalisantes et alignées sur les demandes des entreprises dans les métiers en tension et de niche. Annoncée par le ministère, la création d’un nouveau label pour les établissements du supérieur privé lucratif est observée d’un bon œil par la CGE, indique son président.

« La France est le pays où il est le plus facile d’ouvrir une école d’enseignement supérieur », glisse Laurent Champaney. Il poursuit : « Il est donc important de réguler. De plus, les familles et les étudiants ont besoin d’y voir plus clair au niveau des reconnaissances des formations. Ainsi, j’estime que le débat qui agite les établissements d’ordre privé lucratif est légitime », estime le président de la CGE.

La multiplication de l’offre de formations de ce type s’explique d’abord, à ses yeux, par une explosion de la demande du public français en termes de formations plus hybrides, flexibles, incluant notamment de l’apprentissage. Il s’agit alors de distinguer, selon lui, les acteurs privés engagés dans la réussite des étudiants pour l’accès à l’emploi, qui « font les choses bien » et les établissements qui profitent de cette tendance pour ouvrir des formations fantômes, sans parvenir à offrir des conditions de formation adaptées (locaux et professeurs adéquats).

Il conclut son raisonnement ainsi : « Lors des salons d’orientation, les écoles de la CGE font d’abord de l’orientation avant de faire du marketing. Et tentent ainsi d’aiguiller au mieux les étudiants vers des formations qui leur correspondent, sans leur donner d’illusions. »

Crédit : Danielle-Claude Bélanger / Thotis