« En prépa EC, on vous accompagne. Vous y gagnez, et on y gagne. »
Article de Grégory Chadufau, professeur de mathématiques, et de Véronique Bonnet, professeur de philosophie-culture générale, en classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), filière EC (la filière qui conduit aux grandes écoles de management), au Lycée Janson de Sailly à Paris.
When I was younger, so much younger than today
I never needed anybody’s help in any way
But now these days are gone I’m not so self-assured
Now I find I’ve changed my mind
I’ve opened up the doors
The Beatles, Help
Une des légendes sur la prépa EC raconte qu’un élève, en arrivant chez nous, serait déjà autonome. Il saurait déjà, ayant effectué des vœux sur Parcoursup, vers quelles carrières, quels métiers se diriger dans la vie. Il aurait juste besoin d’apprendre ce qu’est un projet avant de chercher le moyen de le réaliser. Pourtant, c’est précisément après le baccalauréat, quand on s’imagine être désormais autonome, qu’on a en réalité le plus besoin d’être accompagné. L’actuel rite de passage, considéré comme le baptême du feu, est Parcoursup, et non plus le baccalauréat. N’importe quelle contre-performance peut être handicapante pour Parcoursup.
D’où l’angoisse des élèves tout au long de leurs études secondaires. On s’imagine donc qu’on a besoin d’être accompagné avant Parcoursup mais pas après. On s’imagine aussi, en parallèle, que les lycéens qui entrent en classe préparatoire sont très avancés dans la manière de s’organiser. Qu’ils savent déjà comment travailler, comment s’y prendre pour apprendre. On croit aussi que dans le secondaire ils ont apprivoisé de nombreux outils comme les réseaux sociaux, les classes virtuelles, les plateformes d’écriture collaborative ou Wikisource.
Nous, professeurs de prépa EC, ne sommes pas dupes de cette prétendue autonomie de nos élèves. Le cœur de notre métier n’est pas le cours magistral pur et simple. Car qu’en feraient-ils, d’eux-mêmes, en réalité ? Déconstruisons cette image d’Épinal. Ils ont besoin qu’on leur explique ce qu’ils peuvent en faire et à quelles conditions. Par exemple, il ne suffit pas de lire un calcul au tableau pour savoir le faire à son tour soi-même. Il ne suffit pas d’avoir appris la définition d’un mot pour parvenir à l’utiliser. Il ne suffit pas de lire un cours pour le connaître. Ce n’est pas parce qu’on a lu Du côté de chez Swann que l’on est capable d’écrire comme Proust.
Bien sûr, tous les étudiants ont besoin d’être accompagnés au sortir du bac. La classe préparatoire propose à cet effet le plus parfait des cadres. Accompagner les élèves est notre raison d’être et notre devoir. Dans un registre aussi bien disciplinaire que transdisciplinaire. Au sens le plus élémentaire, nous faisons cours au sein d’un lycée. Ce qui matérialise et symbolise un certain continuum. Pas de rupture brutale, donc, entre le lycée et la classe préparatoire. Le format classe, devenu rare au lycée en première comme en terminale, est inexistant à l’université. Or il se prête particulièrement à l’accompagnement : 48 élèves par classe, cela peut sembler beaucoup, mais c’est nettement moins que dans un amphithéâtre. Il est possible de faire du sur-mesure avec une classe encadrée par une équipe dédiée.

Crédit : Dessin original de François Schuiten
Élèves, professeurs, conseillers d’éducation, proviseurs ne sont pas des entités séparées mais une communauté de destins et d’histoires partagées. La structure lycée est vigilante. L’équipe de direction est très encadrante. Elle surveille précisément les absences. Des entrevues avec les élèves sont organisées en cas de situations personnelles problématiques, et pour les situations scolaires tangentes après chaque conseil de classe. Le secrétariat du lycée vérifie les inscriptions aux concours, contrairement à ce qui se passe à l’université où les élèves sont livrés à eux-mêmes.
Dans sa salle de classe, un professeur est amené, de temps en temps, à faire un peu de cours magistral. Par exemple pour installer une problématique ou exposer en détail des points techniques. Mais nos élèves sont moins concentrés qu’avant, s’ennuient plus vite, disposent aussi de moins de repères culturels que par le passé. Nous devons donc trouver de nouvelles façons de transmettre, plus illustrées, en variant régulièrement les supports, en projetant des tableaux, en faisant écouter des extraits d’opéra. Nos cours sont plastiques et adaptatifs. Notre métier nous amène à une vigilance qui nous permet de nous rendre compte des infinies nuances entre un silence d’adhésion et un silence de perplexité.
Le plus parfait des silences ayant ses ambivalences, nous veillons à faire participer les élèves constamment afin de vérifier qu’ils nous ont compris. Nous les invitons à poser des questions, à reformuler nos propos, à se répondre entre eux. Il peut s’agir de demander des éclaircissements, de faire des rappels de contextes ou de domaines de définitions. Les élèves sont conviés à expliquer les choses avec leurs propres mots, même sous une forme imprécise et provisoire qui sera améliorée graduellement. Le principe clé de l’accompagnement est : appropriez-vous ce que nous vous donnons. Nous invitons constamment nos classes à prendre la main.
Par exemple, en culture générale, on peut proposer des exposés au début de chaque cours. En première année sur des sujets généraux comme « mineur, majeur » « offrir des fleurs », »le casanier et le voyageur ». En seconde année, sur le thème au programme, l’image, on peut proposer des interventions sur la photographie, la série, la fresque, le cadre, le visage. On attend des élèves une analyse du sujet. Y a-t-il un paradoxe, une contradiction ? Après l’exposé à deux ou trois voix, la classe est invitée à poser des questions, faire des objections, des déductions. Les élèves prennent la place du professeur. La classe est ainsi mise en posture de jury. Parallèlement, en mathématiques, on peut proposer des Interrogations orales. Des élèves sont envoyés au tableau et y récitent leur cours, sur n’importe quel chapitre déjà abordé. Ceci permet de réviser régulièrement le programme. La classe est le jury. En début d’année, les élèves se disent que ce que les élèves interrogés ont écrit au tableau ressemble beaucoup à ce qui a été demandé. Mais peu à peu tout le monde devient plus rigoureux. Les élèves miment notre exigence, qui devient la leur. D’abord envers les autres, ceux qui sont au tableau, puis envers eux-mêmes aussi, puisque regarder les autres revient à se regarder dans un miroir.

Crédit : dessin original de François Schuiten
En ce qui concerne les devoirs, DS comme DM constituent un accompagnement sur mesure. Les DS, d’abord élémentaires, gagnent peu à peu en complexité à mesure que les forces des élèves croissent. A fortiori, en mathématiques, à partir d’un certain moment, un choix entre deux sujets, par exemple HEC ou EDHEC, peut être proposé. Les DM, facultatifs, permettent aussi bien de s’exercer que de se rassurer, les meilleurs pouvant aller plus loin avec certains énoncés pointus. En colles, de plus en plus de collègues proposent de rendre l’évaluation optionnelle : les élèves peuvent choisir d’être notés ou non. Ainsi un élève qui dit vouloir être challengé demandera à être noté, pour viser le dépassement de soi. S’il appréhende le déroulement de la colle, celle-ci pourra prendre la forme d’une heure de soutien.
Pour les entretiens de motivation et de personnalité, les lycées organisent des sessions préparatoires. A cette occasion, les élèves qui ont été accompagnés reviennent pour accompagner les élèves actuels, en étant à leur tour jurys. Ils apportent des pistes privilégiées grâce à leur expérience récente de ces oraux et de leur parcours tout neuf en école de management. On peut mettre en place aussi, à cette fin, d’autres séances de préparation avec des jurys bipartites transdisciplinaires. Deux collègues, quelles que soient leurs matières respectives, peuvent constituer un jury.
En effet les entretiens de motivation et de personnalité ne sont pas la chasse gardée de la culture générale ou de l’économie. L’épreuve concerne toutes les disciplines, les entraînements gagnent donc à être assurés par des professeurs de toutes les matières. Le triptyque est lui aussi une épreuve transdisciplinaire. Si quelques entraînements formels sont organisés en fin de deuxième année, il faut comprendre que cette épreuve est préparée en permanence dans chaque matière par la mise de la classe en posture de jury déjà évoquée. L’accompagnement en deuxième année se prolonge pendant la période de révisions.
Par des envois de documents de tous ordres : articles, références musicales, liens vers des textes fondamentaux, sujets d’annales corrigés. Si les élèves ont du mal à s’organiser, il est possible de leur proposer des plannings de travail sur mesure, détaillés demi-journée par demi-journée, pour la période de trois semaines avant les écrits, ou pendant la préparation aux oraux. On peut même le faire de façon différenciée en tenant compte des besoins de chacun.
L’accompagnement doit être simultanément exigeant et bienveillant. La bienveillance seule peut faire manquer à nos élèves les attentes précises et rigoureuses des concours, et favoriser l’immobilisme. L’exigence seule peut décourager et générer une perte de confiance en soi. Les deux sont donc requises. Il importe de rester prudent dans la démarche d’accompagnement. Accompagner, être avec eux. Mais c’est à eux de faire. Aider oui. Materner non. Les élèves sont les acteurs de leur scolarité. Nous leurdonnons des armes, à eux de les utiliser s’ils le veulent. Si l’on est ambitieux à leur place, ils se reposent trop sur nous. L’accompagnement n’est pas imposé, il est proposé. Nous devons les laisser libres et ne jamais oublier que même en encadrant, en accompagnant, notre but premier est de donner à nos élèves les clés de leur autonomie. Notre accompagnement transdisciplinaire se prolonge au-delà de la classe préparatoire.
Par exemple, nos anciens élèves pourront nous écrire pour nous demander une lettre de recommandation pour une candidature à un double diplôme à Dauphine ou à l’ENSAE, que l’on soit professeur de mathématiques ou de culture générale. Des liens intergénérationnels se tissent avec eux. Ils deviennent parfois colleurs ou reviennent donner des conseils aux bizuths en début d’année ou aux carrés au moment des résultats d’admissibilité.
C’est une joie pour nous de rester en contact avec nos classes successives. Nos anciens élèves nous écrivent régulièrement pour prendre de nos nouvelles et nous donner des leurs. Parlez-en avec eux, et ils vous diront combien ils sont reconnaissants envers ce qu’ils ont appris en classe préparatoire, sur le plan académique et humain. Dix ans, quinze ans plus tard, la vie passe, les souvenirs s’atténuent mais la classe préparatoire demeure bien souvent un élément privilégié de leur parcours, deux années parmi les plus précieuses de leur vie. Nous avons été en quelque sorte pour eux des aiguilleurs du ciel, des catalyseurs, des initiateurs.