Les jeunes Français délaissent-ils le modèle des classes préparatoires pour d’autres cursus ? Longtemps considérée comme la voie par excellence menant aux Grandes Écoles, la CPGE peine aujourd’hui à séduire certains élèves de terminale. Analyse d’un phénomène à relativiser, grâce aux échanges menés par Thotis avec les présidents de l’APHEC, de l’UPS et de l’APPLS et Agathe, étudiante en prépa ECG.

Par Valentine Dunyach

La classe préparatoire souffre-t-elle de son élitisme, d’une image caricaturale, ou encore de la réforme du lycée, effective depuis 2020 ? Nous serions tentés de répondre : un peu des trois. Mais ce serait sans compter sur les différences d’attractivité qui existent, selon les filières choisies. Pour mieux comprendre l’évolution des classes préparatoires en France, Alain Joyeux, président de l’APHEC, Denis Choimet, président de l’UPS et Damien Framery, président de l’APPLS, ont accepté de partager leur vision et expérience du terrain. 

Des fuites de candidats plus ou moins importantes selon les filières

Comme le soulignent les chiffres publiés par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche cette année, les effectifs en classes préparatoires aux grandes écoles étaient de nouveau à la baisse lors de la rentrée 2022-2023. Les CPGE ont ainsi accueilli 81 200 étudiants à la rentrée 2022, soit 2,6 % de moins par rapport à la rentrée 2021. Une diminution des inscriptions qui vient s’ajouter à celles des années précédentes. 

De plus, les élèves étaient 3 % de moins que l’année dernière à ne pas poursuivre en deuxième année. Plus spécifiquement, ce sont les filières scientifiques (-3,2 %) et les voies économiques (-2,9 %) qui ont été les plus atteintes. Les femmes sont par ailleurs plus nombreuses à écarter l’option finale des CPGE dans ces domaines. Le nombre le plus éloquent étant celui de l’inscription sur des filles en classes préparatoires économiques ; pour preuve, pour la rentrée 2022-2023, les femmes étaient 5,5 % de moins à s’inscrire dans ces CPGE en comparaison avec la rentrée dernière. Des chiffres qui laissent à penser que l’attractivité des CPGE n’est pas au beau fixe. 

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Les Classes Préparatoires Scientifiques

La réforme du lycée en 2020, une influence directe sur l’orientation des élèves en CPGE ? 

Certaines filières de prépas – et notamment les CPGE littéraires – s’en sortent mieux. À l’instar des Khâgne Modernes, qui connaissent même un accroissement de leur effectif total. Et selon le président de l’APPLS (Association des professeurs de premières et de lettres supérieures) Damien Framery, la raison pourrait être dûe à la réforme du Lycée de 2020 :  

“On estime que cet accroissement en Lettres Modernes est dû à la réforme du lycée, et principalement aux élèves qui ont délaissé l’option des mathématiques. Ils ont aussi compris qu’ils pouvaient, grâce aux Lettres, accéder à un éventail d’écoles plus large, comme les écoles de Management par exemple.”

Il n’est d’ailleurs pas le seul à constater ces évolutions, et à les mettre en corrélation avec la réforme du lycée. Si les vœux d’orientation en ECG sur Parcoursup donnent de l’espoir à Alain Joyeux (président de l’APHEC et professeur de géopolitique en classes prépas ECS) pour la rentrée prochaine, la partie n’est pas encore gagnée dans le secteur des prépas économiques et commerciales. En effet, qui dit confirmation sur la plateforme dédiée à l’orientation ne signifie pas forcément choix d’inscription avéré dans un établissement. À ses yeux, ce sont d’abord des facteurs conjoncturels qui ont eu une incidence sur l’orientation en prépa ECG. Il constate : 

La réforme du Lycée, depuis 3 ans, a bouleversé la donne en matière d’orientation pour les terminales ; la filière ECG a particulièrement été affectée. En parallèle de la période pandémique, le vivier d’élèves qui a gardé les mathématiques en Terminale a diminué de 40 %”, réduisant d’autant notre vivier de recrutement, constate Alain Joyeux. 

Denis Choimet, président de l’UPS (Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques), quant à lui, revient sur l’aspect très sectorisé de cette baisse en prépa scientifique : 

On ne peut absolument pas parler d’effondrement dans les filières scientifiques en prépa. On note une augmentation des vœux Parcoursup dans certains domaines, et notamment une très forte attractivité des filières les plus théoriques ”

Il est vrai que la filière MPI, créée lors de la réforme, a séduit un effectif important de terminales, et été immédiatement remplie : 

“Une nouvelle filière a été créée dans les classes scientifiques, il s’agit de la filière MPI. Pluridisciplinaire comme toutes les CPGE scientifiques, elle est caractérisée par une coloration informatique. Il est intéressant de constater que cette filière a tout de suite fait le plein sur tout le territoire français. Elle est particulièrement adaptée aux lycéens ayant suivi la doublette Mathématiques/Informatique en Terminale. Ainsi, les CPGE s’adaptent aux réformes successives, comme elles l’ont d’ailleurs toujours fait. La MPSI demeure tout aussi attractive, même si d’autres filières (PTSI, TSI et TPC), touchées à divers titres par les conséquences de la réforme du lycée, rencontrent des difficultés dans leur recrutement.”

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La prépa mérite-t-elle sa réputation ? 

La réalité serait donc la suivante ; l’attractivité des CPGE est loin d’être la même selon les filières. Les changements dus à la réforme ne permettent pas d’expliquer entièrement le basculement des lycéens vers d’autres cursus que la prépa ; l’image de la filière est également en jeu. Alain Joyeux (APHEC) l’exprime ainsi : 

“L’image sacrificielle de la prépa est compliquée à faire évoluer. De plus, s’il n’y a pas réellement de concurrence directe en termes de niveau d’exigence avec les CPGE, certaines Écoles de management développent massivement les programmes post-bac en bachelor par exemple.”, explique Alain Joyeux. Et d’ajouter : “contrairement à ce que l’on dit, les jeunes ne rechignent pas à l’effort. En revanche, ils n’acceptent pas les sacrifices et ne souhaitent pas voir leurs passions extra-scolaires réduite à néant. Concrètement, le cœur du problème est l’attractivité”. 

Sur ce point, Denis Choimet, président de l’UPS n’aboutit pas exactement au même constat. Les CPGE scientifiques, très différentes des CPGE commerciales, débouchent majoritairement sur des écoles publiques, avec des frais de scolarité contrôlés. “Les étudiants des CPGE scientifiques sont d’abord passionnés par les sciences avant d’avoir une vision très claire de leur carrière future.” L’attractivité ne serait donc pas la seule explication suffisante. 

Ouvrir la prépa socialement, convaincre les jeunes que cette formation est la meilleure façon de se préparer à un monde mouvant, serait donc l’une des solutions : 

“La classe préparatoire donne les armes et le pouvoir aux étudiants de se réinventer tout au long de leur carrière. Les jeunes diplômés d’aujourd’hui ne sont pas amenés à exercer – caricaturalement – le même métier dans la même entreprise, pendant dix ans. La prépa n’est pas non plus la même qu’il y a trente ans”, explique Alain Joyeux. 

Pour Agathe, élève en classe de prépa ECG Mathématiques approfondies + ESG (Économie, sociologie et histoire du monde contemporain) dans un lycée parisien, pas de regret sur son choix.

La prépa est une formation intense, mais qui nous permet malgré tout de garder une vie sociale, au moins un jour ou soir par semaine. Sans oublier les vacances scolaires. Le plus dur, c’est la première année ; c’est un choc de rythme par rapport au lycée.”

Pour celle qui vise les “parisiennes” et le top 4, difficile de constater l’arrivée d’une partie de la concurrence aux prépas, qu’elle trouve injuste. Elle regrette l’ouverture des Grandes Écoles à certains étudiants qui passent par le concours AST (admissions sur titre ou admis sur titre). Des étudiants titulaires d’un BUT, un BTS, une L2 ou une L3 peuvent intégrer une école sans passer par la prépa. Autre cas de figure, des étudiants français qui possèdent suffisamment de fonds, partent se former à l’étranger, et intègrent ensuite plus facilement les Grandes Écoles de commerce, via un autre concours. Contrairement à ceux qui, comme elle, travaillent d’arrache-pied pendant deux ans sans être sûrs d’être admis dans les Grandes Écoles. 

Il n’est pourtant pas anormal que les Grandes Écoles recrutent de bons éléments dans d’autres filières : universités, international, BTS, BUT… Par ailleurs, il existe une excellente passerelle d’une durée d’un an concernant ces deux derniers diplômes (BTS/BUT) : les CPGE ATS. Elles permettent aux étudiants de candidater dans les écoles d’ingénieurs via le concours ATS ou sur dossier. 

Découvre ce que représente une journée type en classe préparatoire avec une étudiante ! 

Quelles sont les solutions ? Les actions à mener ? 

Parcours aménagés, inclusivité, “Les Cordées de la Réussite”, partenariats avec les Grandes Écoles… Autant de solutions soumises au ministère, par ces trois acteurs majeurs du monde de l’Enseignement supérieur. Alain Joyeux le rappelle ; une quarantaine de lycée propose des immersions en entreprises en fin de première année de prépa, permettant de voir le monde réel, de parler avec des managers, et ce sur tout le territoire (Lycée Joffre à Montpellier, Janson de Sailly à Paris, Berthelot à Nancy). “Je fais partie de ceux qui souhaitent que ces stages soient systématisés”, explique-t-il.  

Sur ce sujet, Denis Choimet et Damien Framery vont encore plus loin dans cette transmission pédagogique. À leurs yeux, il faudrait élaborer ce type de partenariats dès le collège, avec des élèves de classes préparatoires. Selon eux, il faut agir avant le choix des options. 

  1. Les cordées de la Réussite 

Les partenariats “Les Cordées de la réussite” représentent un lien important entre un lycée à classes préparatoires ou une grande école et un lycée défavorisé. Ce système se développe concrètement à travers des tutorats, des interventions et témoignages, d’ingénieurs et ingénieures.

  1. Communiquer et rassurer les familles des étudiants : 

La classe préparatoire est un chemin vers l’excellence. Et les Grandes Écoles le savent bien, et recherchent des profils d’étudiants issus de prépas ; elles ont besoin qualitativement d’élèves de ce type, des “flagship”. Ils participent à la renommée des Grandes Écoles et sont envoyés, sans hésitation, dans des entreprises de haut niveau. Même si le taux de succès aux concours en CPGE scientifique est supérieur à 85 %, pour Denis Choimet, il est important de revoir l’image-même de la classe préparatoire : 

“Nous sommes mobilisés pour faire évoluer un certain nombre de choses : d’une part, en favorisant la promotion sociale. De nombreux jeunes s’auto-censurent, alors que la voie de la prépa est sécurisée puisqu’elle est gratuite, et dispose d’un taux de réussite proche de 90 %. L’histoire du concours est également annihilante pour certains et en freine une partie. L’effet de groupe, dans certains lycées ou quartiers, immobilise également des étudiants avec capacités”. 

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Comment convaincre un étudiant de s’inscrire en prépa ? 

Selon Damien Framery, président de l’APPLS (Association des professeurs de premières et de lettres supérieures), convaincre un étudiant doit effectivement passer par l’exemple. Il serait profitable de tenir ce type de discours, pour donner davantage envie aux étudiants effrayés par ces deux années de travail intense. En présentant des témoignages d’étudiants, de profils, passés par la même prépa qu’eux, et en communicant ainsi : “Regardez ce qu’ils sont devenus !”. À cela, il ajoute d’autres arguments, évoqués par ses homologues, Denis Choimet et Alain Joyeux : 

  1. À coup d’arguments : 
  • La classe préparatoire est une formation gratuite, et en même temps une filière d’excellence ; (donc inclusive)
  • La classe préparatoire représente aussi une chance, pour les élèves de terminale, de se laisser deux années de plus pour se décider sur son orientation. À noter : les CPGE scientifiques débouchent sur près de 200 écoles d’ingénieurs très diversifiées ;
  • Éviter pour les familles de se faire ce type de réflexion : “C’est sans doute mieux quand on paye !” ; 
  • Choisir la prépa, c’est choisir un cadre assez protecteur, encadré, qui convient à certains élèves (Mais pas à tous ; ndlr)
  • La France va se trouver devant des enjeux scientifiques énormes ; transition climatique, gestion des données numériques… Des domaines d’une extrême complexité, qui vont nécessiter des cerveaux.
  1. En systématisant l’ouverture sociale vers les CPGE : 

Les femmes sont, selon les filières scientifiques en CPGE, une catégorie parfois peu représentée. Et pourtant, Denis Choimet le souligne : “Nous avons en France des mathématiciennes brillantes et visibles !”

Plusieurs orientations sont ainsi transmises au ministère, dans le sens d’une ouverture : 

  • Faciliter l’accès aux personnes handicapées ; 
  • Aux boursiers

La classe préparatoire reste la voie royale pour intégrer les Grandes Écoles. Les établissements de prestige français comptent d’ailleurs sur ces profils, possédant un socle de connaissances solide et forts d’une certaine rigueur de travail. Gratuite, présente aux quatre coins de la France, ce cursus permet également aux élèves de terminale de prendre le temps de leur orientation. 

 

 

Crédit : Ivan Alkesic