Réélue au printemps dernier pour un second mandat à la tête de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Christine Neau-Leduc dresse un état des lieux sans concession de l’établissement. Entre contraintes budgétaires croissantes et ambitions stratégiques, la présidente défend le rôle essentiel de l’université dans la formation de la jeunesse française, tout en alertant sur les défis à venir.

Depuis la rentrée 2025, Christine Neau-Leduc et son équipe de vice-présidents impulse les nouveaux enjeux de ce second mandat. Mais la période est marquée par une réalité incontournable : la question budgétaire. « Il y a un travail de fond qui doit être fait pour présenter le nouveau budget pour 2026, et surtout un plan budgétaire pluriannuel, puisque l’université est en déficit », explique-t-elle d’emblée. Au-delà de cette contrainte immédiate, l’équipe présidentielle s’attelle à bâtir le plan stratégique de l’université pour les quatre années à venir, avec une projection jusqu’en 2030-2035.

Parmi les nouvelles priorités, deux axes se démarquent rapidement. D’abord, un investissement renforcé sur la recherche internationale. « Nous avons beaucoup de partenariats avec des universités étrangères, beaucoup en mobilité d’étudiants ou en formation délocalisée. Nous faisons aussi de la recherche internationale, mais ce n’est pas encore un angle stratégique pour l’université », reconnaît Christine Neau-Leduc, qui souhaite faire évoluer cette situation. Ensuite, l’organisation mi-mars d’assises de la pédagogie pendant trois jours, qui réuniront étudiants, enseignants-chercheurs et personnalités extérieures pour réfléchir aux enjeux pédagogiques contemporains, de l’impact de l’intelligence artificielle sur les cours et le contrôle des connaissances aux rythmes de travail et à la vie étudiante.

Une université de premier plan face à des défis structurels

Les chiffres de Paris 1 Panthéon-Sorbonne témoignent de son envergure. Avec 45 000 étudiants, dont 24 000 en licence représentant 12 % de l’offre de licence de la région Île-de-France, l’établissement accueille également 12 000 étudiants en master, 2 200 doctorants produisant environ 300 soutenances de thèses par an et plus de 9 000 étudiants étrangers. L’université compte 1 500 enseignants-chercheurs et 2 450 personnels administratifs, auxquels s’ajoutent 3 000 vacataires d’enseignement, souvent des professionnels venant apporter leurs compétences aux étudiants. Répartie sur 25 sites à Paris intra-muros et en périphérie, l’université propose 80 mentions de master et 13 mentions de licence.

Mais derrière ces chiffres impressionnants se cache une réalité budgétaire préoccupante. Le budget de Paris 1 s’élève à environ 250 millions d’euros, dont 42 millions de ressources propres que l’université doit trouver auprès de différents partenaires. « Ce déficit est pour l’essentiel dû à des mesures exogènes -et qui sont souvent de bonnes mesures-, mais dont le poids doit être supporté par l’université, sans compensation », souligne la présidente. Elle évoque notamment les mesures de revalorisation des traitements des fonctionnaires et la prise en charge accrue des cotisations pour les régimes de retraite, qui représentent plusieurs millions d’euros non compensés.

« Notre université a toujours été structurellement sous-dotée depuis le passage aux responsabilités, compétences élargies en 2011 », rappelle Christine Neau-Leduc. Cette année, 14 millions d’économies ont dû être réalisées, principalement sur la recherche et les services centraux, pour préserver les formations et les étudiants. « C’est une vraie difficulté. Pour l’année prochaine, on va essayer de réduire les économies tout en ayant un mécanisme d’augmentation des recettes », annonce-t-elle.

 

Pour aller chercher ces ressources supplémentaires, plusieurs pistes sont envisagées : le développement de l’apprentissage, des formations courtes destinées aux professionnels, la formation tout au long de la vie, et potentiellement une révision de certaines exonérations ou tarifs, notamment pour les diplômes d’université et les formations courtes, mais pas pour les diplômes nationaux. « C’est un débat, rien n’est décidé pour l’instant », précise-t-elle.

Face à cette situation, la présidente n’hésite pas à alerter sur l’urgence. « Il faut être responsable. Tout le monde entend les débats à l’Assemblée nationale et nous connaissons le taux d’endettement de l’État français. Et cela a des répercussions sur le budget d’enseignement supérieur et de la recherche », reconnaît-elle. Mais elle pose également une question politique fondamentale : « Est-ce que notre pays souhaite investir dans sa jeunesse et dans sa recherche ? La jeunesse est l’avenir du pays. Former nos jeunes est l’avenir du pays. On ne peut pas avoir un pays à la pointe du progrès si on n’a pas une jeunesse qui est formée et à laquelle on porte toute l’attention qu’elle mérite. »

L’université continue certes à remplir ses missions, les étudiants sont formés et ont une bonne insertion professionnelle, mais au prix d’investissements et de sacrifices considérables de la part des équipes. « Au bout d’un moment, cela ne fonctionnera plus. Nous arrivons vraiment dans le mur », prévient Christine Neau-Leduc. Elle souligne également que de nombreux pays investissent massivement dans l’enseignement supérieur et la recherche, contrairement à la France : « Nous sommes en train de perdre la course. Dans cette compétition, si vous stagnez, vous régressez. »

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Des conséquences concrètes déjà palpables

L’université va être obligée de réduire le nombre de postes d’enseignants-chercheurs publiés pour les recrutements. « Cela signifie que des jeunes docteurs ne trouveront pas, dans notre université, des postes de maître de conférence, et iront donc ailleurs, peut-être à l’étranger », explique la présidente, qui rappelle qu’une génération d’enseignants-chercheurs va partir à la retraite dans les cinq à dix ans, rendant ces recrutements d’autant plus cruciaux.

La recherche internationale au cœur de la nouvelle stratégie

Malgré ces contraintes, Paris 1 Panthéon-Sorbonne ne renonce pas à ses ambitions, notamment en matière de recherche internationale. « Peut-être que tout le monde ne le sait pas, mais l’enseignement que nous prodiguons à nos étudiants est basé sur notre recherche. On ne peut pas dissocier les deux. Nous avons besoin de chercheurs qui font l’enseignement, et l’enseignement enrichit aussi la recherche. La recherche est le marqueur des universités », insiste Christine Neau-Leduc.

L’université porte actuellement un projet ambitieux de centre de recherche à São Paulo au Brésil, qu’elle espère concrétiser l’année prochaine. Plus largement, Paris 1 dispose de plus de 320 partenariats dans 65 pays différents avec des universités parmi les plus importantes. L’établissement est notamment implanté en Égypte, en Argentine, au Brésil, en Roumanie et au Maroc avec des filières délocalisées. Parmi les partenariats récents figurent un programme en droit à Ho Chi Minh-Ville au Vietnam et un master en économie-gestion à São Paulo avec l’Université de São Paulo, la plus grande université d’Amérique latine.

L’université fait également partie de l’alliance européenne Una Europa, qui regroupe 11 universités prestigieuses dont Bologne, la Complutense de Madrid, Dublin, Zurich, Cologne, Leiden et Édimbourg. Depuis septembre, un nouveau bachelor commun en développement durable, le Basus, a été lancé. « La première année est commune, elle se passe à l’Université jagellonne de Cracovie, avec un tronc commun sur la thématique du développement durable dans toutes les disciplines », explique la présidente. Après cette première année, chaque université propose un parcours thématique spécifique. À Paris, il s’agira d’économie et géographie appliquées au développement durable. « Ce qui est extrêmement intéressant, c’est que nos étudiants bougent, mais nos collègues aussi. Nous aurons des collègues des autres universités qui viendront enseigner à Paris. C’est vraiment la mobilité d’étudiants et de collègues pour un vrai partage des compétences. »

Un saut qualitatif majeur avec le centre de La Chapelle

En matière d’infrastructures, l’année 2026 marquera un tournant décisif avec l’ouverture du centre de La Chapelle dans le 18ᵉ arrondissement parisien. Ce bâtiment de 20 000 m² représente « un progrès incroyable » selon Christine Neau-Leduc. Il comprendra une immense cafétéria du Crous qui se transformera en espace de coworking l’après-midi, répondant ainsi à l’un des points faibles historiques de l’établissement en matière d’espaces de vie étudiante.

Le centre offrira également près de 750 places de bibliothèque supplémentaires avec des espaces collectifs pour le travail en projet, des salles équipées pour la cartographie en géographie, des laboratoires de langue, ainsi que des amphithéâtres conçus pour accueillir concerts et représentations théâtrales. « Architecturalement, c’est superbe. La qualité des matériaux est incroyable. Ça va être une expérience exceptionnelle pour les étudiants et les collègues », se réjouit la présidente.

Précarité étudiante : une réalité en constante augmentation

La précarité étudiante constitue une préoccupation majeure pour l’établissement. Entre 25 et 30 % des étudiants sont boursiers à Paris 1 Panthéon Sorbonne et les difficultés sociales ne se limitent pas aux universités de province ou de banlieue. « Ce n’est pas parce qu’on est à Paris intra-muros qu’il n’y a pas de précarité étudiante », rappelle Christine Neau-Leduc. À Paris, des difficultés supplémentaires peuvent même apparaître, notamment sur l’accès aux soins et le logement.

L’université a renforcé son service de santé étudiante en recrutant des psychologues et en ouvrant davantage de consultations, ainsi qu’un centre de soins supplémentaire à Saint-Charles l’année dernière. « C’est l’une des particularités du SSE de Paris, qui est commun avec Paris Cité : il n’est pas centré uniquement sur la prévention, mais aussi sur le soin », souligne la présidente. Des consultations dentaires, gynécologiques et généralistes sont proposées aux étudiants, car « souvent, les étudiants ne vont pas consulter car ils n’ont pas les moyens de le faire. »

Sur le plan social, l’université distribue entre 350 et 400 aides d’urgence par an, ainsi qu’environ 300 aides à la mobilité internationale. Mais ce qui frappe la présidente, au-delà du nombre, c’est l’évolution des montants demandés. « Quand j’ai commencé mon mandat en 2021, les aides que je signais étaient à peu près de l’ordre de 300 ou 400 euros. Aujourd’hui, les aides demandées peuvent aller jusqu’à 1 500, 1 600 euros. Cela est significatif. » Ces aides d’urgence ne permettent pas de répondre à tous les besoins, ce qui appelle selon elle une réforme en profondeur du système de bourses au niveau national.

La question du logement étudiant représente un enjeu particulier. Christine Neau-Leduc porte depuis quatre ans un projet de construction de logements étudiants dans deux tours du campus Tolbiac-Lourcine, encore occupées par le ministère des Armées. « C’est un point vraiment très important. J’espère qu’un jour, ce projet aboutira. Je pense que c’est l’un des derniers dans Paris intra-muros. Cela nous permettrait d’avoir un vrai campus et de permettre aux étudiants de ne pas être très éloignés », explique-t-elle. Car en région parisienne, la précarité se traduit aussi par des temps de transport pouvant atteindre une heure à une heure et demie par jour, ce qui vient s’ajouter aux difficultés des études elles-mêmes.

Une défense vigoureuse de l'insertion professionnelle en SHS

Face aux critiques récurrentes sur les difficultés d’insertion des diplômés en sciences humaines et sociales, Christine Neau-Leduc défend avec conviction le modèle universitaire. Elle rappelle d’abord le rôle fondamental de l’articulation entre recherche et formation : « Nos étudiants sont formés aux savoirs fondamentaux, à l’esprit critique. On les forme à des compétences générales qui les suivront tout au long de leur carrière. Je pense qu’il ne faut pas forcément former des étudiants à un métier prédéterminé. La première formation importante est leur capacité à s’adapter, à changer, dans leur carrière. »

Mais elle ne se contente pas de cette approche théorique et énumère avec conviction les métiers concrets issus des universités : « Qui forment les professeurs du primaire, du secondaire, du collège et du lycée ? Qui forment les avocats, les notaires, les médecins, les infirmières ? Ce sont les universités. » Elle poursuit sur les débouchés méconnus : « Qui forment les nouveaux intervenants en compliance dans les entreprises ? Nos philosophes. Qui forment les archéologues qui, sur le terrain, font de l’archéologie préventive qui permettent que des bâtiments se construisent ? »

Les chiffres viennent appuyer son propos : 88 % d’insertion pour les étudiants sortis de master, 90 % des étudiants de licence qui continuent en master. « Les experts comptables, les commissaires aux comptes, les DRH des grands groupes, les directions financières, d’où sortent-ils ? », interroge-t-elle. Même pour les disciplines parfois considérées comme moins professionnalisantes, elle démontre la diversité des débouchés : « Nos géographes, vous les retrouvez dans des cellules de gestion de crise, en collectivité territoriale qui s’occupent du retrait de trait de côte avec l’augmentation du niveau des eaux. Nos historiens du master relations internationales et action extérieure sont diplomates. »

La présidente appelle à dépasser les représentations négatives : « On projette une image des sciences humaines qui ne correspond pas à la réalité. La France n’est-elle pas heureuse que la plus grande découverte archéologique des trois dernières années ait été faite par Paris 1 avec nos chercheurs sur le terrain ? » Elle conclut sur la force distinctive de la formation universitaire : « Les diplômés des universités françaises ont la capacité à changer de métier, à s’adapter. C’est peut-être aussi cela, la formation universitaire : donner le goût de l’évolution, du changement, du développement. »

Parcoursup : un bilan nuancé mais globalement positif

Sur la plateforme Parcoursup, lancée en 2018, Christine Neau-Leduc porte un regard mesuré. Elle reconnaît les inconvénients, notamment le stress généré pour les lycéens et leurs familles. Mais elle souligne aussi les avancées considérables : « Cela a ouvert l’information et l’accessibilité de l’information sur nos formations à tous les lycéens. Il y a eu une grosse communication effectuée sur tous les critères qui sont utilisés. Il y a vraiment une transparence qui est importante. »

Cette transparence a également obligé les universités à renforcer leur présence sur les salons étudiants et leurs journées portes ouvertes. La présidente rappelle aussi que le système précédent, « APB », était un jeu de loterie, « vraiment pas acceptable. » Parcoursup permet en outre une mobilité géographique encadrée entre Paris et la province, ce qui constitue un réel progrès.

Son message aux lycéens anxieux face à la plateforme est rassurant : « N’ayez pas peur. Si vous êtes pris dans une formation, il est toujours possible de se réorienter. Nous ne sommes pas dans des silos et notre vie n’est pas terminée si l’on n’a pas la formation que l’on voulait. » Elle illustre même son propos par son propre parcours, initialement orientée vers Sciences Po avant de rester en droit où elle s’est épanouie.

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Liberté académique : une vigilance de tous les instants

Sur la question de la liberté académique, Christine Neau-Leduc rappelle qu’une liberté « doit toujours être préservée, on doit toujours la cultiver, et c’est valable quelle que soit les périodes. » Si la situation en France bénéficie d’un haut niveau de protection partagé par l’ensemble des universités, elle insiste sur la nécessité d’une « vigilance accrue, c’est un combat quotidien. »

La liberté académique se définit pour elle comme « la capacité à maintenir un débat scientifique fondé scientifiquement et un débat ouvert où toutes les expressions scientifiques peuvent se développer. C’est inhérent à l’université. » Concernant les événements récents liés à des propos antisémites dans des groupes d’étudiants, elle réaffirme fermement : « L’université condamnera toujours et poursuivra toujours les propos antisémites, racistes ou xénophobes. » Elle précise toutefois que les groupes WhatsApp concernés « ne sont pas des groupes de l’université Paris 1, et qu’il s’agit de groupes d’étudiants, créés par des étudiants, en dehors de l’université », tout en assumant la responsabilité de l’établissement puisqu’il s’agit d’étudiants inscrits.

Sur la possibilité de débattre sereinement de tous les sujets à l’université, la présidente se montre nuancée. « Il ne faut pas non plus demander aux universités plus qu’elles ne peuvent. Elles sont composées d’étudiants et de collègues qui sont en prise avec la cité. » Elle affirme qu’à Paris 1, personne n’est empêché de s’exprimer librement « dès lors qu’il le fait dans le cadre légal et dans un cadre serein, sans invective, sans violence. »

Mais Christine Neau-Leduc pointe un enjeu crucial : « La liberté, ce n’est pas seulement être que capable de s’exprimer, c’est aussi être capable d’écouter. Quand on s’exprime, on a envie d’être écouté, mais il faut aussi que quand les autres s’expriment, on les écoute. » Le manque de sérénité dans certains débats, avec « beaucoup de violence qui vient troubler l’échange », constitue selon elle le principal obstacle.

L’université continue d’organiser des conférences sur tous les thèmes, « mais nous demandons à ce que ces conférences soient bien organisées dans un champ disciplinaire, dans un champ académique. »

Face aux défis budgétaires, aux enjeux de précarité étudiante et aux tensions sociétales, Christine Neau-Leduc maintient le cap d’une université exigeante, ouverte et résolument tournée vers l’avenir. Son appel au soutien des pouvoirs publics résonne comme un rappel de l’investissement nécessaire dans la jeunesse et la recherche, deux piliers de l’avenir du pays.

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