Depuis plusieurs années, l’APHEC (Association des Professeurs des classes préparatoires ECG, ECT, ATS, ECP, D1 et D2) et la CDEFM (Conférence des Directeurs des Écoles Françaises de Management) œuvrent ensemble pour défendre le modèle de la classe préparatoire et valoriser le continuum Prépa – Grande École. Alain Joyeux, professeur de géopolitique en ECG (1re et 2e année) au lycée Joffre à Montpellier et président de l’APHEC, ainsi que Stéphanie Lavigne, Directrice générale de TBS Education et vice-présidente de la CDEFM, ont accepté de répondre à nos questions pour Thotis Prépa, dans un entretien croisé.
Alors que l’attractivité des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) se maintient -voire progresse dans certaines filières- plusieurs défis demeurent. Tous les étudiants n’y accèdent pas de manière équitable, et certaines idées reçues continuent d’entourer ce modèle exigeant, spécifique à la France. Dans cet entretien croisé, Alain Joyeux (APHEC) et Stéphanie Lavigne (CDEFM) reviennent pour Thotis sur les atouts du parcours prépa et les évolutions du modèle, les enjeux d’orientation, les effets des classements ainsi que la question du khûbe. Ils abordent également les trajectoires professionnelles différenciées entre étudiants issus de prépa et ceux venus par les admissions sur titre (AST), sans oublier le rôle et la place des mathématiques depuis la réforme du bac. Du côté des écoles de management, un autre sujet émerge : le décalage parfois ressenti par certains étudiants entre le rythme soutenu de la prépa et les enseignements perçus comme plus appliqués -et parfois moins stimulants- en école. Ce phénomène, qualifié par certains de “dépression post-prépa”, est aujourd’hui pris au sérieux. Cet échange vise à éclairer les lycéens encore hésitants, à dépasser les clichés souvent véhiculés sur la prépa, et à rappeler aux acteurs du supérieur l’immense richesse, tant humaine que pédagogique, de cette voie. Car la prépa n’est pas qu’une “machine à concours” et tous les étudiants n’ont pas intérêt à khûber pour gagner un ou deux rangs dans les classements. À l’occasion du Congrès de l’APHEC 2025, Alain Joyeux et Stéphanie Lavigne explorent aussi les leviers pour renforcer le continuum entre prépa et grande école -pilier historique et stratégique de l’enseignement supérieur à la française.
Alain Joyeux : L’idée d’un “continuum” entre les classes préparatoires économiques et commerciales et les écoles de management n’est pas nouvelle. Elle remonte à environ sept ou huit ans, mais s’impose aujourd’hui de plus en plus comme une évidence dans les milieux éducatifs. L’enjeu ? Considérer que les deux années de classe préparatoire ne sont pas une fin en soi, mais bien le début d’un cursus cohérent de cinq ans, débouchant sur un diplôme de niveau Master 2 en management, délivré par une grande école ; le parcours est balisé, structuré, et pour une large majorité, couronné de succès. Rappelons qu’à l’issue des classes préparatoires, les étudiants ne reçoivent aucun diplôme. Ils passent un concours national, non pas éliminatoire, mais “répartiteur”, qui les oriente vers différentes grandes écoles, selon leur niveau. Les atouts du continuum parlent d’eux-mêmes : sur 100 étudiants qui intègrent une première année de prépa EC, 85 % décrochent un Master 2 dans les cinq années suivantes. Les 15 % restants choisissent soit de khûber, c’est-à-dire de redoubler pour tenter un meilleur classement, soit de se réorienter vers l’université ou d’autres formations. Le message que je souhaite porter est le suivant : loin d’être un tunnel opaque ou un pari incertain, la classe préparatoire constitue aujourd’hui la première étape d’un véritable cursus intégré vers l’excellence.
“La classe préparatoire aux grandes écoles : une spécificité française” Stéphanie Lavigne : Dans les grandes écoles de management, la classe préparatoire reste perçue comme la voie royale. Pour nous, chez TBS Education, le continuum représente la trajectoire d’excellence vers une grande école. Cette passerelle entre prépa et école est une spécificité française à laquelle les établissements sont profondément attachés. Ce lien fort repose sur une réalité bien connue : pendant deux années exigeantes, les élèves des classes préparatoires acquièrent une formation intellectuelle d’une grande densité. Ils développent un esprit critique, une capacité de synthèse, et maîtrisent des connaissances pointues. Conscientes de l’importance de cette transition, les écoles s’efforcent de renforcer la continuité pédagogique. En lien avec l’APHEC (Association des Professeurs des Classes Préparatoires Économiques et Commerciales), plusieurs établissements ont introduit des cours spécialement conçus pour faire le lien entre les deux univers : géopolitique, humanités, analyse du monde contemporain… Les contenus évoluent pour répondre aux exigences d’un monde économique de plus en plus complexe. Mais je dirais que le continuum ne se limite pas aux seuls enseignements : il englobe aussi l’accompagnement des étudiants. L’un des atouts majeurs de la prépa, c’est son haut niveau d’encadrement. C’est un modèle auquel nous sommes également très attentifs dans nos écoles. Finalement, ce continuum n’est pas simplement une passerelle contrainte vers un diplôme. C’est un choix assumé, une démarche cohérente qui forme des jeunes solides intellectuellement, curieux, et prêts à affronter les enjeux du monde professionnel. La classe préparatoire, ce n’est pas un passage obligé, c’est une étape qui fait sens. On adore intégrer les profils de prépas, qui allient rigueur, esprit critique et curiosité pluridisciplinaire. Loin d’être individualistes, ces étudiants issus de prépas excellent dans le travail collectif, souvent en leaders organisés et motivants, apportant une richesse précieuse et complémentaire à leur groupe.
Alain Joyeux : Le terme “classe préparatoire” est parfois mal interprété. Ce n’est pas uniquement une marche vers un concours, mais le socle d’un parcours académique cohérent et structuré, pensé sur le long terme. Dans l’imaginaire collectif, il renvoie souvent à une simple phase de préparation à un concours, comme s’il ne s’agissait que d’un tremplin ponctuel vers une école. Mais cette vision est réductrice. Il s’agit avant tout d’une classe préparatoire aux grandes écoles de management, c’est-à-dire au cursus complet en école de management. Les compétences acquises durant ces deux années de prépa -rigueur intellectuelle, capacité d’analyse, sens de la synthèse- ne sont pas seulement utiles à l’entrée en école. Elles constituent un bagage précieux tout au long du cursus en école de management, et bien au-delà, dans la vie professionnelle. Autrement dit, la logique de continuum ne s’arrête pas aux portes de l’école. Elle se prolonge jusqu’à l’insertion dans le monde du travail. C’est tout un parcours de formation qui se construit, étape après étape, dans une continuité ambitieuse et exigeante. Les écoles nourrissent les étudiants issus des classes préparatoires, mais il ne s’agit pas d’une simple “nourriture” intellectuelle. Aujourd’hui, dans la complexité du monde, un manager ne peut se réduire à être un simple technicien. Un vrai manager doit être conscient des réalités culturelles, économiques, géopolitiques qui l’entourent. C’est pour ça que la montée en puissance des humanités dans les grandes écoles, aux côtés des disciplines techniques, est essentielle. C’est ce qui fait la vraie valeur ajoutée d’un diplômé de TBS ou d’une autre grande école, face à un concurrent diplômé d’une université étrangère, par exemple.
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Stéphanie Lavigne : Je pense que c’est le résultat de plusieurs facteurs combinés. D’abord, il faut saluer le travail des professeurs de lycée, qui jouent un rôle clé en orientant les élèves dont ils estiment qu’ils ont le potentiel, grâce à de bons voire d’excellents résultats scolaires. Cela dit, il est important de rappeler qu’on n’a pas besoin d’être un élève “parfait” pour aller en prépa. Il y a aussi, chez les jeunes, une vraie envie de s’engager dans une formation rigoureuse, de qualité. Ils évoluent très vite, sont curieux et ambitieux. Et je pense que dans les lycées, les enseignants ont renforcé leur accompagnement pour les aider à faire ces choix. En parallèle, il y a eu une vraie dynamique de communication, que ce soit dans les médias, dans l’enseignement supérieur ou à destination des familles. L’un des objectifs a clairement été de casser cette image d’une prépa “sacrifice”. À l’époque, on parlait de la prépa comme d’un parcours très dur. Il y avait cette idée qu’on partait presque à la guerre. Ce que je constate aujourd’hui, c’est que la communication a beaucoup évolué. On parle désormais de tout ce que l’on va trouver en prépa, pas seulement de ce qu’on pourrait perdre. Et ça, c’est une avancée importante. Une belle campagne a été lancée avec l’APHEC et les écoles de management, notamment sur les réseaux sociaux, avec un ton délibérément tourné vers les jeunes et leurs familles. On sent qu’un écosystème favorable s’est mis en place. Mais attention, tout cela reste fragile. Les chiffres ont connu une hausse cette année, puis ont semblé se stabiliser, voire légèrement baisser. Il est donc essentiel de poursuivre les efforts, de rester mobilisés. Il faut que l’on continue, ensemble, à accompagner et valoriser cette filière. “Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’il y a 30 ans -ni même d’il y a 10 ans. Et les professeurs non plus.” Alain Joyeux : Le contexte démographique actuel -et à venir- n’est pas favorable. C’est une réalité que le monde de l’enseignement supérieur doit intégrer. Pourtant, les enseignants en classes préparatoires, eux, perçoivent un véritable tournant. Depuis deux ou trois ans, on ressent un soutien renforcé de la part des grandes écoles. Il y a un engagement clair de leur part en faveur du recrutement en classes préparatoires, une vraie reconnaissance de ce vivier. Une dynamique de synergie s’est installée entre les prépas et les écoles. Les échanges se sont multipliés, des actions communes ont vu le jour, notamment à travers des groupes de travail avec la CDEFM. Du côté des enseignants aussi, les pratiques ont évolué. Les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’il y a 30 ans -ni même d’il y a 10 ans. Et les professeurs non plus. On sait très bien qu’un élève malheureux dans sa formation partira : il a aujourd’hui l’embarras du choix dans l’enseignement supérieur. Impossible, donc, de maintenir une image d’une prépa uniquement dure et sacrificielle. La pédagogie a changé, les relations entre professeurs et élèves aussi. Aujourd’hui, on met l’accent sur l’accompagnement, l’écoute, la bienveillance. Cette transformation passe aussi par des actions concrètes. Nous organisons des immersions pour les lycéens de première ou de terminale. Ils viennent assister aux cours, passer une demi-journée ou une journée dans une classe préparatoire. Cela leur permet d’échanger librement avec les étudiants, parfois aussi avec les enseignants. Ces moments sont essentiels pour briser les clichés et déconstruire les idées reçues. Comme l’a dit Stéphanie, rien n’est acquis. Nous savons que nous devons continuer à évoluer. Les jeunes changent vite, leurs attentes aussi, et c’est à nous de nous adapter. Aujourd’hui, l’objectif des enseignants est clair : permettre à chaque étudiant de donner le meilleur de lui-même. Le but, c’est qu’à la fin, l’étudiant se dise : ‘J’ai fait ce qu’il fallait, j’ai donné le maximum, et je peux être fier du chemin parcouru.’ Ce sentiment d’alignement avec sa propre conscience, c’est une réussite en soi. En lien avec cet article : utilise Prépa IA, notre IA pour prédire ta future école, choisir ton école post prépa et préparer tes oraux ! Alain Joyeux : Pas vraiment. Quand on regarde les cinq dernières années, voire un peu plus, depuis l’arrivée de Parcoursup, il n’y a pas de corrélation évidente entre la hausse ou la baisse des effectifs à la rentrée et le nombre de vœux formulés sur Parcoursup. “Sur les vingt dernières années, le nombre d’étudiants en classe préparatoire ECG-ECT a progressé de plus de 25 %” Par exemple, l’année où les effectifs ont nettement chuté, le nombre de candidats sur Parcoursup, lui, avait augmenté. Il faut garder son calme et attendre de voir le taux de transformation réel. Sur les vingt dernières années, le nombre d’étudiants en classe préparatoire ECG-ECT a progressé de plus de 25 %. Mais cette évolution n’a rien d’une ligne droite. C’est très irrégulier : deux ans de hausse, deux ans de baisse, deux ans de hausse, un an de baisse, et ainsi de suite. Évitons de nous affoler à chaque chiffre en baisse ou en hausse, et surtout évitons de déclencher des réformes ou bouleversements à chaque variation. Laissons du temps au temps et observons les évolutions et les attentes des jeunes. Comme Stéphanie l’a mentionné, la CDEFM a mené une enquête qui a permis de mieux comprendre les attentes et l’état d’esprit des jeunes. C’est à nous d’en tenir compte. “Honnêtement, l’orientation avec Parcoursup est très compliquée pour un parent. Depuis les résultats de Parcoursup, j’ai reçu beaucoup d’appels de dirigeants, des gens aux positions sociales élevées, qui ne comprennent pas le système.” Stéphanie Lavigne : Je pense qu’on oublie souvent une cible essentielle : les familles. Lorsqu’il s’agit de faire des choix d’orientation, ce sont bien souvent les parents qui accompagnent et soutiennent leurs enfants. Je suis très attentive aux annonces récentes du ministre Philippe Baptiste concernant Parcoursup, notamment sur la signalisation des formations. Quand un jeune se connecte sur Parcoursup, il voit plus de 20 000 options. Avec nos jargons, nos intitulés, et la multitude d’institutions concurrentes qui ont fleuri en parallèle des écoles et formations traditionnelles, le choix est devenu complexe. Aujourd’hui, les jeunes et leurs familles ont besoin de clarté, de visibilité. Il arrive que, face à un élève enthousiaste disant ‘Maman, cette école est géniale, je veux y aller’, la famille soit perdue. L’école n’est pas forcément bien classée, pas toujours reconnue, et les parents, même en faisant confiance à leurs enfants, se retrouvent souvent démunis. Honnêtement, l’orientation avec Parcoursup est très compliquée pour un parent. Depuis les résultats de Parcoursup, j’ai reçu beaucoup d’appels de dirigeants, des gens aux positions sociales élevées, qui ne comprennent pas le système. “Les accréditations internationales sont un véritable gage de qualité.” Alain Joyeux : La question de la qualité des formations devient de plus en plus centrale pour les familles et les étudiants eux-mêmes. C’est l’une des raisons du regain d’intérêt pour les classes préparatoires. On observe une prise de conscience : toutes les formations ne se valent pas, notamment en matière de reconnaissance, d’exigence académique et de perspectives à l’international. À l’APHEC, comme dans nos établissements, nous le rappelons sans relâche : les accréditations internationales sont un véritable gage de qualité. Dans un marché de l’emploi qui est aujourd’hui européen, voire mondial, disposer d’un diplôme délivré par une école accréditée, c’est un vrai atout pour l’employabilité. En lien avec cet article, découvre notre page dédiée à TBS Education
Stéphanie Lavigne : C’est une question complexe, mais je pense qu’elle fait référence à des zones qui ne sont pas des déserts économiques. De manière générale, lorsqu’il prend une décision, le ministère s’appuie notamment sur un indicateur : le taux de remplissage. Quand ce taux est très faible ou jugé insuffisant, cela peut entraîner une décision de fermeture. L’APHEC est fortement mobilisée contre la fermeture des classes préparatoires. Dans les territoires les moins dynamiques, des enjeux démographiques se posent déjà. Peut-être que les efforts du ministère devraient se concentrer en priorité sur ces zones, afin d’y renforcer l’information et l’orientation vers les classes préparatoires. En effet, des facteurs démographiques jouent un rôle important. Certaines zones sont plus touchées que d’autres… Ce phénomène ne s’explique-t-il pas aussi par le fait que certains jeunes, vivant dans des zones qui ne sont pas nécessairement des déserts, se disent : « Je veux faire une classe prépa, mais pas ici » ? Je ne sais pas dans quelle mesure ce phénomène joue, mais il semble avoir un impact. Remplissage des prépas : “on constate que la fracture, contrairement à ce qu’on entend souvent, est moins sociale que territoriale.” Alain Joyeux : Tout dépend de la carte scolaire. De nombreuses classes préparatoires de proximité, situées dans des villes moyennes, affichent un excellent taux de remplissage. La situation varie aussi selon la proximité d’une concurrence, qu’elle soit publique ou privée sous contrat. Cela dit, lorsqu’on analyse les recrutements à l’échelle d’un établissement ou d’une classe préparatoire, on constate que la fracture, contrairement à ce qu’on entend souvent, est moins sociale que territoriale. Autrement dit, il existe des territoires avec de bons lycées et d’excellents élèves, mais où la culture de l’ambition fait défaut. Cela se traduit par une forte autocensure, qui touche particulièrement les classes préparatoires -mais pas uniquement. C’est pourquoi nous menons des actions de sensibilisation dans ces établissements : pour faire connaître ces filières, valoriser l’excellence et lutter contre l’autocensure. Habiter à 100 kilomètres d’une métropole régionale ou vivre en milieu rural ne doit pas être un frein à l’accès aux classes préparatoires. Il existe un phénomène délétère contre lequel il faut absolument que nous agissons, ensemble. C’est cette idée de plus en plus répandue selon laquelle faire une classe préparatoire ne vaudrait le coup que pour intégrer le “top 4” ou le “top 5” des écoles. C’est un véritable fléau qui s’est accentué ces deux dernières années. Sur le terrain, je peux vous assurer que la majorité des professeurs ne soutient pas cette logique de “cubage en or”. Il faut absolument que nous travaillions à déconstruire cette vision. D’abord, en rappelant que le classement SIGEM (Système d’Intégration aux Grandes Écoles de Management) n’est qu’un indicateur, très jeune, et qu’il ne reflète pas la valeur réelle d’une école aux yeux des entreprises ou des recruteurs. Ensuite, en réaffirmant que toutes les écoles accessibles après une classe préparatoire sont de très bonnes écoles, chacune avec ses projets, son identité, sa culture. C’est un travail de fond que nous devons absolument mener. Car si la classe préparatoire devient peu à peu une formation réservée à seulement cinq ou six écoles, alors c’est l’ensemble du modèle qui risque de disparaître. Stéphanie Lavigne : Le risque, c’est que le ministère finisse par restreindre la carte des classes préparatoires, et c’est précisément ce contre quoi nous essayons d’agir. Il y a, selon moi, une part de responsabilité du côté des discours véhiculés par certains étudiants-influenceurs sur les réseaux sociaux, concernant les écoles du Top 5. Je repense à une vidéo que j’ai vue récemment : un jeune s’adressait à ses abonnés en disant, texto : ‘Bon, t’attends tes résultats pour les écoles ? Alors surtout, fuis tout ce qui est en dessous du top 5. En dessous, cela ne vaut rien, des boîtes à fric.’ C’est choquant. On ne peut pas laisser circuler une vision aussi méprisante et réductrice de l’enseignement supérieur. En lien avec cet article :
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Stéphanie Lavigne : Ce que je vis, en tant que directrice d’école, ressemble à la situation d’une entreprise cotée en bourse ; des acteurs extérieurs déterminent notre « valeur boursière ». Comme pour une entreprise, il y a d’un côté les fondamentaux -ce que l’école propose réellement- et de l’autre, la perception que le “marché” en a, c’est-à-dire la valeur que les classements lui attribuent. On est face à un phénomène mimétique, très proche de ce qu’on observe en bourse, avec une logique de comportement moutonnier : on suit la foule. Et parfois, c’est vrai, la foule a raison. Mais il y a des moments où il faut savoir penser par soi-même. Le problème, selon moi, est que ces classements s’appuient sur des indicateurs, dont beaucoup sont très liés à la taille de l’établissement. Et quand on est une école de petite taille, on part avec un désavantage. C’est une logique mérite d’être interrogée d’un point de vue stratégique. J’enseigne la stratégie d’entreprise et je peux dire que nous n’apprenons pas à nos étudiants que seule la taille garantit la performance ou la qualité. Il existe des indicateurs pertinents et sérieux, mais d’autres sont franchement discutables. Et cette multiplication des classements devient problématique. Elle nous fragilise collectivement. Mais le pire, c’est que ces classements sont devenus une sorte de Graal pour les étudiants. Ils finissent par imposer une lecture purement utilitariste de l’orientation. Or, la plupart des étudiants ne connaissent même pas les critères utilisés pour établir ces classements. Il y a un vrai besoin de pédagogie à ce sujet. Ce que je conseille à un jeune, c’est de les consulter, bien sûr, mais aussi de s’interroger : Dans quelle ville ai-je envie d’étudier ? Quelle expérience de vie me motive ? Quelles sont les valeurs portées par cette école ? Quelles spécialités propose-t-elle ? Quelle culture d’établissement me correspond ? Et justement, la classe préparatoire leur a appris à développer un esprit critique. Ce serait bien qu’ils l’exercent aussi au moment de choisir leur école. Alain Joyeux : Le problème, aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas seulement un classement des écoles, mais aussi un classement des classes préparatoires. Nous aussi, en tant que prépas, nous sommes évalués, comparés, et ces classements sont très regardés par les familles. Le paradoxe, c’est que si j’arrive à convaincre des élèves, qui n’ont pas intégré les toutes premières écoles, d’aller dans une école classée 15e ou 16e, cela peut faire baisser le classement de ma prépa. Et l’année suivante, cela rend le recrutement plus difficile, car les parents scrutent ces classements avec beaucoup d’attention. C’est donc une véritable tyrannie des classements, qui impacte non seulement les écoles, mais aussi les prépas, en particulier les prépas de proximité. Un certain nombre d’élèves se disent : “Cette prépa ne place presque personne dans les parisiennes, je préfère aller à 200 kilomètres, même si ça impose un coût supplémentaire à ma famille.” Il y a un gros travail d’explication à mener, car il existe une forme d’inertie culturelle autour de ces classements. Aucun recruteur n’en est capable. Le top 3, peut-être. Évidemment, il y a aussi la question des effectifs. Il faut être lucide : on ne pourra pas faire +8 % chaque année, comme cela a été le cas récemment. Il y aura des variations. Mais ce qui compte, c’est que la voie prépa reste une vraie filière structurée, qui continue à alimenter un nombre suffisant d’écoles. On l’a dit tout à l’heure : 22 écoles sont accessibles via la prépa, et elles sont toutes reconnues, gradées, et pour la plupart triplement accréditées. Ce sont des formations solides, ambitieuses, avec une vraie valeur sur le marché. Découvre notre entretien avec Alain Joyeux, directeur de l’APHEC : Alain Joyeux : Je leur dirais d’abord que le khûbe correspond à une année de vie supplémentaire. Donc, il faut vraiment bien réfléchir : est-ce que ça vaut le coup de passer un an de plus en prépa plutôt que d’intégrer l’école où ils sont déjà admis, avec toute la vie associative, les stages, et les expériences qui vont avec ? Souvent, même les professeurs de prépa, quand ils acceptent qu’un élève fasse un khûbe, pensent qu’il y aura un vrai saut qualitatif dans le type d’école obtenue après cette année supplémentaire. Pourtant, chaque année, on voit des candidats qui khûbent, et qui finalement ne gagnent qu’une ou deux places : passer de la septième à la sixième ou à la cinquième école. Il faut vraiment qu’ils réfléchissent : est-ce que ça vaut le coup de faire un an de plus pour si peu ? Je ne dis pas qu’il ne faut jamais faire de khûbe, loin de là. Pour certains profils, une année supplémentaire est adaptée, presque nécessaire. Mais ces cas restent plutôt l’exception que la règle. Notre message est plutôt : intégrez l’école que vous avez obtenue, vous ne le regretterez pas. Vous y serez probablement très heureux, et vous découvrirez beaucoup d’opportunités auxquelles vous ne pensiez même pas en classe préparatoire. Stéphanie Lavigne : Moi, je suis particulièrement sensible à l’idée qu’une année de plus, c’est quand même une année de vie. En ce moment, je conseille un jeune proche qui se trouve dans cette situation, et je lui dis : “Pourquoi faire une année de plus ? Pourquoi ne pas intégrer l’école que tu as obtenue, et utiliser cette année que tu aurais passée à khûber pour faire autre chose ?” Par exemple, prendre une césure à l’international, ou vivre des expériences qu’il n’a pas encore imaginées, mais qui seront beaucoup plus valorisantes pour son parcours de vie et son profil d’étudiant que de refaire une année de prépa. Il faut savoir mettre cette année à profit autrement. Cela renvoie aussi à la notion d’ambition, et à la force des marques. Clairement, sur un CV, avoir la marque d’une école du Top 3 ne sera jamais perçue comme la même chose qu’une école classée 6ème. Le différentiel se ressentira surtout à la sortie, en termes d’employabilité et de salaire. On ne peut donc pas blâmer un jeune qui veut tenter sa chance avec une année de plus, mais personnellement, je ne l’encourage pas systématiquement. Alain Joyeux : Oui, encore une fois, ce n’est pas tout ou rien, il existe des situations où c’est parfaitement adapté. Certains jeunes, notamment en première année de prépa, peuvent manquer de maturité ou ne pas avoir assez travaillé, et ont donc besoin d’une année supplémentaire. D’autres ont traversé des maladies ou des drames familiaux, autant de raisons qui peuvent justifier de vouloir cuber. Mais franchement, faire une année de plus juste pour gagner un ou deux rangs, est-ce vraiment si crucial ? Stéphanie Lavigne : Il y a vraiment des garanties de qualité dans ces institutions, au regard des critères rigoureux de recrutement. Je dis aux étudiants : “Quand tu auras fait ton parcours, que tu auras ton doctorat, alors tu pourras te permettre d’avoir un avis critique. Mais pour l’instant, reste humble.” Décrédibiliser une institution en disant qu’il ne faut pas y aller parce que c’est “nul”, c’est non seulement injuste, mais aussi dangereux. Les médias et les influenceurs qui diffusent ce genre de discours sont néfastes pour le secteur, voire diffamatoires envers les écoles. Ce que je constate, c’est que depuis 30 ans, les trois premières écoles sont restées les trois premières -c’est immuable. Après, pour nous, ce classement est aussi un moteur. Quand je regarde les résultats, je me dis : « Je ne veux pas être neuvième, je veux être huitième. » Alors je regarde ce qui sépare mon école de celle qui est devant, et je me demande ce qu’il faut faire pour les rattraper. Pour moi, c’est vraiment un moteur de progrès. Différences de carrières entre étudiants passés par une CPGE et ceux recrutés en AST : “on observe des différences nettes dans la prise de responsabilités managériales.” À découvrir également : nos guides dédiés aux études post-prépa : Stéphanie Lavigne : Nous suivons cela à travers notre association des alumni et nos enquêtes emploi, même si ces dernières, souvent réalisées un an ou trois ans après la diplomation, ne reflètent pas toute la trajectoire de carrière. Pour y remédier, nous essayons de créer un observatoire avec notre réseau d’anciens afin de mieux comprendre ce que deviennent nos diplômés. Nous avons donc le sentiment qu’il existe une accélération des parcours professionnels durant les dix premières années, puis un certain lissage par la suite. Nous n’avons pas encore d’éléments très probants au-delà de cela. Mais je reste convaincu qu’il y a une réelle appétence pour des postes à responsabilités, pour diriger, encadrer et être responsable chez les étudiants issus de CPGE. Ce que je vais dire rejoint ce qui a été évoqué tout à l’heure : très rapidement, dans les dix ans qui suivent la diplomation, on observe des différences nettes dans la prise de responsabilités managériales. Ce ne sont pas forcément des fonctions supports, mais bien des rôles de leader, de responsable ou de directeur, vers lesquels ces diplômés sont souvent poussés. En revanche, il n’y a aucune corrélation avec l’entrepreneuriat : autant de diplômés issus de classes préparatoires que d’AST se lancent dans cette aventure complexe. Alain Joyeux : Il s’agit de continuer à renforcer la cohérence du parcours, pour que ce cursus ne soit pas perçu comme un simple 2+3, mais bien comme un tout cohérent de 5 ans, avec différentes étapes. Même en école, ce n’est pas juste trois ans assis sur une chaise, comme le disait Stéphane : il y a des phases académiques, des séjours à l’étranger, des expériences en entreprise. La prépa est une étape parmi d’autres. Ensuite, il y a évidemment le défi constant de l’attractivité, qui sera de plus en plus compliqué à relever dans un contexte démographique en baisse. Il faut aussi réfléchir à comment préserver à tout prix la force des prépas : l’excellence académique, tout en atténuant la dimension sacrificielle qui devient de moins en moins acceptable pour les jeunes. Aujourd’hui, les jeunes sont prêts à travailler dur, ils aiment ça même, mais ils ne comprennent plus pourquoi ils devraient sacrifier une part importante de leur vie. Cette évolution a déjà bien commencé, mais elle doit aller encore plus loin, peut-être avec des approches plus audacieuses, adaptées à profils. Stéphanie Lavigne : Pour compléter, je dirais qu’il est essentiel d’améliorer la lisibilité des offres de formation. Aujourd’hui, les possibilités sont plus nombreuses que jamais, alors qu’il y a dix ans, les choix étaient bien plus limités. Cela crée un réel besoin de clarté. Il faudrait aussi que le ministère fasse un effort pour mieux expliquer ce qu’est une formation d’excellence, pour le répéter et le rendre accessible à tous. Parce qu’on s’adresse à des parents et des étudiants qui, selon leur milieu social, leur lieu de vie ou leur métier, peuvent avoir du mal à saisir ces parcours. Pour beaucoup, la classe prépa reste un univers assez mystérieux. Il est donc important de continuer à valoriser cette voie d’excellence. Tout le monde ne fera pas une prépa, et ce n’est pas un problème, ce n’est pas synonyme d’échec. Mais il faut vraiment réaffirmer et défendre ce chemin, car il n’a pas toujours été assez mis en avant jusqu’à présent. En lien avec cet article : Alain Joyeux : D’abord, on met toujours l’accent sur les mathématiques. Je suis responsable d’un corps de professeurs, et derrière les maths, il y a des personnes, des rémunérations, des responsabilités. Ensuite, la prépa est une formation pluridisciplinaire et les maths en font partie. Par ailleurs, dans aucun métier de manager, on ne peut se passer de compétences quantitatives. Je dirais aussi que la balle est un peu dans le camp des écoles. C’est un point qu’on regrette parfois. On a travaillé sur ce sujet, avec des mathématiques appliquées ou approfondies. Personnellement, j’aurais souhaité voir plus de différences dans les coefficients selon les écoles. Certaines, notamment celles en haut du classement, considèrent le niveau en maths comme absolument incontournable, et c’est très bien. Pour d’autres écoles, c’est moins déterminant. Stéphanie Lavigne : Sur ce débat, ce que je trouve important, c’est l’influence opérée par la réforme du bac sur les mathématiques. Aujourd’hui, on peut obtenir son bac sans faire de maths, et c’est un peu pareil pour la prépa. Alors au fond, pourquoi se compliquer la vie avec des maths difficiles ? Pourquoi ne pas choisir des matières soi-disant plus faciles ? Mais en quoi la géopolitique ou l’histoire-géo seraient-elles moins compliquées que les maths ? Comment valoriser les maths dans les filières supérieures si on les a déjà désacralisées au lycée ? Pour moi, il faudrait que ce soit impossible de passer le bac sans maths. Ce n’est pas normal aujourd’hui qu’un jeune puisse l’obtenir sans mathématiques. Je suis maman d’une fille qui entre en terminale, et j’ai insisté pour qu’elle garde les maths en terminale. Dans sa classe, le constat est sans appel, surtout pour les filles, c’est catastrophique. C’est vraiment dommage de priver un jeune d’un enseignement complet -français, philosophie, histoire, tout ce qui fait sa formation- juste parce qu’on ne lui laisse pas la liberté de choisir ce qui est important pour lui. On entretient encore et toujours les inégalités sociales. “Ce sont surtout les familles des catégories socio-professionnelles supérieures qui, conscientes des enjeux, encouragent leurs enfants à continuer les maths jusqu’en terminale.” Alain Joyeux : C’est doublement problématique et inquiétant. D’une part, parce que les filles choisissent moins les sciences, et notamment les mathématiques. Ensuite, ce sont surtout les familles des catégories socio-professionnelles supérieures qui, conscientes des enjeux, encouragent leurs enfants à continuer les maths jusqu’en terminale, parfois en leur payant des cours particuliers. Mais pour les autres, moins informés ou moins équipés, leurs enfants n’ont plus accès aux maths. Je ne suis pas sûr que les écoles souhaitent recruter des étudiants sans mathématiques. C’est un débat légitime à avoir. Cela dit, de mon côté, je ne peux pas non plus envoyer nos professeurs de maths dans des zones isolées ou réduire drastiquement leur charge. Il faut vraiment trouver un juste équilibre. Alain Joyeux : Cette année marque une grande étape : c’est la première fois que le certificat Arts libéraux sera décerné. Une avancée concrète, qui illustre bien le continuum entre la prépa et l’école. Je tiens d’ailleurs à saluer Stéphanie, qui a joué un rôle clé, notamment au sein de la CDEFM, pour la mise en place de ce certificat. Du côté de l’APHEC, Frédéric Meunier a également beaucoup œuvré pour faire aboutir ce projet. Il s’agit d’une étape importante pour mieux identifier, clarifier et différencier le parcours prépa–grande école. Pour le reste, continuons à avancer ensemble, à réfléchir collectivement. Je pense qu’il n’y a pas de sujet tabou, y compris concernant les concours. Stéphanie Lavigne : Le certificat des Arts Libéraux était une pièce qui manquait pour les étudiants. Tout étudiant qui commence l’enseignement supérieur obtient un diplôme, avec ses 120 crédits ECTS. Or, ce volet-là, pour les prépas, n’était pas reconnu institutionnellement. Aujourd’hui, c’est la première promotion qui va être diplômée et qui recevra ce certificat. Je pense que c’est une reconnaissance non seulement du parcours des étudiants, mais aussi de la classe préparatoire et des professeurs, qui s’inscrivent dans un continuum d’excellence académique avec ceux des écoles. On entend souvent dire que les profs de prépa et ceux des grandes écoles n’ont pas le même métier. Eh bien si, c’est le même métier, simplement ils n’enseignent pas la même chose. C’est ça, l’excellence. Je trouve que ce certificat crée un joli continuum entre ces enseignants et constitue une belle reconnaissance.
THOTIS : Selon vous, quelle est la philosophie qui sous-tend le continuum entre les classes préparatoires et les Grandes Écoles ? Et quels sont les atouts des préparationnaires ?
THOTIS : En 2025, on observe une progression des effectifs en classe préparatoire ECG. Quels ont été, selon vous, les principaux moteurs de cette attractivité retrouvée ?
THOTIS : La baisse des vœux formulés pour les prépas sur Parcoursup en 2025 : une tendance préoccupante ?
THOTIS : « Certaines classes préparatoires en région peinent encore à remplir leurs effectifs, tandis que d’autres, notamment situées dans les grandes métropoles, restent très sélectives. Comment l’APHEC et la CDEFM peuvent-elles agir pour mieux répartir l’attractivité entre toutes les prépas ?
THOTIS : Alors justement, pour revenir là-dessus, Stéphanie Lavigne, quelles sont, selon vous, les raisons de cette hausse de ce phénomène qu’on observe depuis 2-3 ans, vraiment cette volonté de se dire “hors top 5, je cube”
THOTIS : Alors, justement, quel message est-ce que vous souhaitez adresser à ceux qui seraient tentés par le Khûbe (redoublement), là, en juillet 2025 ?
THOTIS : Stéphanie Lavigne, constatez-vous une différence dans la trajectoire des carrières entre les étudiants qui ont fait prépa plus PGE versus ceux qui ont fait AST plus PGE ?
THOTIS : Alors, quels sont selon vous les défis majeurs aujourd’hui pour les prépas ECG, les grandes écoles et le continuum ?
THOTIS : Débat autour des mathématiques en classe préparatoire : où en est aujourd’hui la réflexion autour de la place des mathématiques en classe préparatoire ?
THOTIS : Un mot sur le certificat des Arts Libéraux, décerné pour la première fois cette année aux étudiants issus de CPGE ?
