Parcours. À l’occasion d’un entretien accordé à Thotis, Rachida Dati est revenue sur son itinéraire singulier, marqué par une trajectoire sociale ascendante, une résilience forte, et une volonté de démocratiser l’accès à la culture. Aujourd’hui à la tête du ministère de la Culture, Rachida Dati ne revendique pas seulement une compétence politique forgée au fil de ses expériences : elle incarne aussi une figure de réussite sociale, devenue emblématique d’un modèle de méritocratie parfois fragilisé.

Retrouvez cet échange en vidéo avec Rachida Dati :

 

 

Itinéraire d’une transfuge sociale 

Née à Chalon-sur-Saône dans une fratrie de onze enfants, elle débute très tôt sa vie active. Aide-soignante à 16 ans, tout en poursuivant sa scolarité, elle envisage une carrière de médecin mais échoue au concours d’entrée en médecine. C’est alors vers l’éco gestion qu’elle se tourne avant d’intégrer l’École Nationale de la Magistrature. Cette réorientation, motivée par des considérations économiques autant que personnelles, s’inscrit dans une réalité bien connue des étudiants issus de milieux modestes : la nécessité d’assurer sa subsistance tout en étudiant.

“À l’époque, nous n’avions pas accès à une information globale sur les filières. Il fallait choisir des études compatibles avec un emploi salarié”, confie-t-elle.

Son récit est jalonné de rencontres déterminantes -Albin Chalandon, Simone Veil -qui, selon elle, ont contribué à briser les mécanismes de reproduction sociale auxquels elle se heurtait. Ces figures l’ont soutenue sans jamais lui offrir d’ascenseur direct : “On ne m’a pas mise là, j’ai travaillé pour y arriver”, affirme-t-elle.

Son passage à l’ENM, qu’elle décrit sans détour comme un “lieu de reproduction sociale”, a été décisif dans sa prise de conscience des inégalités d’accès. Devenue Garde des Sceaux en 2007, elle initiera la création des classes préparatoires intégrées, afin d’ouvrir davantage l’École aux profils issus de milieux populaires. 

“La culture n’est pas un Luxe”

Aujourd’hui en poste au ministère de la Culture, Rachida Dati revendique une politique tournée vers l’ouverture et l’inclusion. Elle met en avant trois axes prioritaires : l’élargissement de l’accès à la culture, la réforme de l’enseignement artistique supérieur, et la protection des droits des créateurs face aux nouveaux usages du numérique, notamment l’IA.

Elle rappelle que 99 écoles dépendent directement de son ministère et que beaucoup restent difficilement accessibles aux étudiants contraints de travailler. Pour y remédier, des dispositifs d’alternance, de gratuité pour les boursiers, et de soutien à l’insertion professionnelle ont été renforcés. “Mon objectif est clair : permettre à un jeune d’origine modeste de devenir architecte ou scénographe sans renoncer à son autonomie financière”, résume-t-elle.

En lien avec ce sujet : entretien avec Juliette Budin, présidente du BNES :  « Porter la voix de 70 000 étudiants en écoles de spécialité » : 

“Porter la voix de 70 000 étudiants en écoles de spécialité” – Juliette Budin, présidente du BNES, détaille les missions et les ambitions du Bureau 

Le miroir social des écoles artistiques

Aujourd’hui ministre de la Culture, Rachida Dati dresse un constat lucide sur l’enseignement artistique en France : les écoles de la culture -qu’il s’agisse des Beaux-Arts, des conservatoires ou des écoles d’architecture- restent trop souvent le reflet d’une élite sociale et géographique.

“On y retrouve une forte reproduction sociale, avec des étudiants majoritairement issus de milieux favorisés. Non pas parce qu’ils sont plus doués, mais parce que ces filières sont longues, exigeantes, et souvent incompatibles avec un emploi à côté. Or, pour beaucoup, c’est une nécessité.”

Les frais annexes (matériel artistique, logement, stages non rémunérés) s’ajoutent aux frais d’inscription. Résultat : une grande partie des talents potentiels se retrouve écartée, faute de ressources.

Ouvrir les écoles, pas niveler les exigences

Consciente de cette réalité, la ministre s’est engagée dans une série de réformes structurelles pour élargir l’accès aux écoles culturelles. En 2024, elle lance un plan d’actions autour de trois piliers : la gratuité pour les étudiants boursiers, le développement de l’alternance, et la mise en place de parcours professionnalisants plus clairs.

“La diversité ne doit pas être un mot-valise. Elle commence par des mesures concrètes. Par exemple, cette année, j’ai supprimé les frais d’inscription dans 33 écoles territoriales pour les boursiers. Ce n’est pas symbolique, c’est une justice sociale.”

Mais l’ambition ne s’arrête pas à l’accès. Pour Rachida Dati, l’enjeu est aussi de lutter contre les “filières sans issue”, en liant plus étroitement formation et insertion professionnelle. Beaucoup d’étudiants hésitent à s’orienter vers les métiers de la culture car ils redoutent la précarité. Il faut leur garantir que passion et stabilité ne sont pas incompatibles.

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Une diversité encore en chantier

Malgré les avancées, les chiffres restent parlants : la part des étudiants issus de catégories populaires dans les grandes écoles de la culture demeure faible. Le profil sociologique des élèves reste largement homogène, tant dans les écoles d’arts plastiques que dans celles du spectacle vivant.

La ministre plaide ainsi pour un changement de culture : “Trop longtemps, les métiers de la culture ont été perçus comme réservés à ceux qui peuvent se “permettre” de créer. Il est temps de casser cette image. Un enfant d’ouvrier a autant le droit de devenir metteur en scène qu’un enfant de cadre.”

Dans cette perspective, Rachida Dati milite également pour un renforcement de la médiation culturelle dès le secondaire, voire le collège. Objectif : exposer les élèves, le plus tôt possible, à des horizons professionnels dont ils ignorent parfois l’existence, faute de capital culturel ou familial.

“Comment rêver de devenir scénographe, restauratrice d’œuvres ou compositrice si vous ne savez même pas que ces métiers existent ?” 

Vers une démocratisation réelle du secteur

En défendant une politique résolument tournée vers l’inclusion sociale dans la culture, Rachida Dati s’attaque à un angle mort du débat public : celui de la diversité dans les filières créatives. Une ambition forte, qui, selon elle, doit s’appuyer sur une conviction centrale : la culture est un droit, pas un privilège. Et l’école, y compris artistique, doit en être le vecteur.

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Une vision réaliste de l’intelligence artificielle

Consciente des mutations à venir, Rachida Dati se montre prudente face à l’intelligence artificielle. Si elle reconnaît son potentiel pour la création artistique, elle alerte sur la nécessité de protéger les auteurs. “L’innovation ne doit pas fragiliser les droits d’auteur. L’enjeu, c’est la juste rémunération.”

Une politique de terrain, entre symboles et pragmatisme

Symbole, parfois contesté, d’une diversité sociale et ethnique encore rare dans les sphères dirigeantes, Rachida Dati insiste sur l’importance de la compétence. Son action ministérielle s’inscrit dans une volonté d’efficacité, mais aussi dans un rapport profondément personnel à la culture comme levier d’émancipation.

Son message aux étudiants, en particulier ceux qui se sentent éloignés des filières artistiques, est clair : “La culture n’est pas un luxe réservé à quelques-uns. Elle doit être une chance pour tous.”