Lire pour mieux diriger : immersion dans un cours atypique à NEOMA Business School avec Agathe Mezzadri-Guedj

Thotis Prépa s’est immergé dans un cours de littérature, dans un lieu où l’étude des œuvres ne va pourtant pas de soi. Direction NEOMA Business School, sur le campus de Reims, pour découvrir l’approche originale d’Agathe Mezzadri-Guedj, Professeure de Lettres en Prépa commerciale (ECG et ECT) au lycée Michelet et intervenante à NEOMA. et intervenante à NEOMA. Quel lien peut bien unir littérature et management ou comptabilité ? Pourquoi proposer un tel cours à de futurs dirigeants et managers ? Pour le comprendre, nous avons rencontré les étudiants et leur enseignante, et assisté à l’un de ces cours. Une immersion permettant de saisir comment la littérature peut, de manière inattendue mais pertinente, nourrir et éclairer les pratiques managériales.

Par Valentine Dunyach

Le thème du jour : “Diversité, équité et inclusion : croisement de références modernes et antiques.”

Un format de cours atypique en grande école de management

Pour ce cours de littérature à NEOMA, Agathe Mezzadri-Guedj prend le pari d’un format inédit : plus immersif, plus dynamique, offrant une approche moderne et engageante. À première vue, on pourrait s’attendre à un cours façon conférence TED Talks, mais ce n’est pas exactement le cas ; trois heures en amphithéâtre, concentrées et sans artifices.

En amphithéâtre, 580 étudiants de première année du PGE assistent au cours, un dispositif rare dans une grande école où l’enseignement se fait généralement en petits groupes. À NEOMA, ce rendez-vous collectif n’a lieu que cinq fois pour chaque promotion. Chaque séance s’inscrit dans un cycle annuel et donne lieu à une évaluation en direct via un QCM, complétée par une notation ultérieure.

Chaque séance suit une structure précise : la première partie consiste à analyser des situations tirées d’œuvres littéraires ou de films, en lien avec le thème du jour. Après la pause, la deuxième partie ramène les étudiants vers l’Antiquité. L’objectif est alors de faire dialoguer auteurs, concepts littéraires et notions de management, en établissant des passerelles entre les deux univers.

À découvrir également, sur Thotis : notre page consacrée à NEOMA !

NEOMA Business School : avis, classements, salaire…

Le parcours d’une enseignante entre deux mondes

Le parcours d’Agathe Mezzadri-Guedj éclaire pleinement sa manière d’enseigner. Après des études en communication au CELSA et une expérience en entreprise, notamment chez Danone, elle réalise que la littérature lui manquait. Issue d’une prépa littéraire et titulaire d’une maîtrise, elle décide alors de renouer avec cet univers.

Elle entreprend un doctorat consacré à Fénelon, théologien et précepteur du Dauphin, dont elle retient notamment “la propension à apprendre en étant ludique”. Cette idée deviendra l’un des fils conducteurs de sa pédagogie. Après avoir obtenu l’agrégation, elle rejoint le lycée Michelet, à Vanves, un ancrage qui continue de nourrir sa manière d’aborder la littérature en grande école de management.

Pour elle, rejoindre NEOMA relevait de l’évidence : “Le monde de l’entreprise et celui de la littérature doivent se parler”, explique-t-elle. Les ponts entre ces univers apparaissent d’ailleurs naturellement : l’argent chez Balzac ou Zola, la figure de Crésus dans l’Antiquité… Autant de références qui montrent que des enjeux que l’on croit contemporains traversent depuis longtemps les récits.

À lire aussi, sur Thotis, en lien avec NEOMA : Transformation pédagogique pour NEOMA : un modèle de formation pensé pour l’ensemble de son écosystème, adapté aux défis actuels 

Faire le pont avec la prépa

Dans l’amphithéâtre, le public est varié : anciens khâgneux, étudiants de BTS, de prépas ECT ou issus de parcours plus éloignés de la littérature. Plusieurs étudiants en grande école de management avouent que la prépa leur manque. « On ne pensait pas qu’on pouvait retrouver de la littérature dans nos cours actuels », confie par exemple Ellen Simon, passée par une prépa A/L.

L’étudiante souligne l’intérêt du cours : « C’est une bonne transition. On survole les œuvres, mais on adopte un regard plus « école de commerce » sur elles. » Elle avoue avoir craint le passage d’une prépa A/L à une école de management : « J’avais peur de me sentir exclue, mais ce n’est pas du tout le cas. » Elle apprécie particulièrement le retour à l’Antiquité : « La séparation du cours en deux parties rend le cours très digeste, même pour ceux qui n’ont pas fait de prépa. Les cas sont concrets et vraiment intéressants. »

Pour Pierre Fisher, issu d’une prépa B/L, ce cours fait office de passerelle : “Il nous aide à relier nos acquis de prépa aux nouvelles notions de management.” Les recommandations contemporaines d’Agathe Mezzadri-Guedj -films, livres, séries- servent également de ponts vers des thématiques actuelles.

William Carde, étudiant de NEOMA issu d’une prépa ECG, partage cet enthousiasme : “Ce cours nous pousse à interroger notre société. On voit que la littérature reste pertinente pour comprendre l’actualité.” Les thématiques de diversité et d’inclusion le touchent particulièrement en tant que futur manager. “Et puis, je pensais qu’on n’aurait plus de lettres après la prépa… C’est stimulant de voir ce cours réinventé”, confie-t-il.

En lien avec cet article : notre page Thotis Prépa, pour tout savoir sur la prépa

Thotis Prépa

Lire pour mieux manager : la littérature comme outil de formation

La professeure en est convaincue : “Lire davantage fait de nous de meilleurs managers. Les récits permettent d’envisager la vie sous d’autres angles.” Cette conviction structure toute son approche pédagogique.

Pierre Fisher souligne combien Zola “décrit une société aux prises avec des problématiques toujours actuelles”. Pour lui, l’intérêt du cours réside dans la capacité à relire ces œuvres à l’aune des défis contemporains et à découvrir des textes qui ouvrent des perspectives nouvelles.

Les études de cas utilisées durant les séances portent sur les valeurs liées au travail. « La littérature apporte un regard que le management ou la comptabilité ne permettent pas. Dans une étude de cas, on n’entre pas dans les consciences et les points de vue restent limités. La littérature, elle, offre cette immersion », explique Agathe Mezzadri-Guedj.

Pour elle, la littérature “rapproche du réel” : elle aide à saisir les zones grises, les ambiguïtés, et à rencontrer des personnages nuancés, comme dans la vie. Un apprentissage essentiel pour de futurs managers, qui ne peuvent pas être uniquement des techniciens mais doivent aussi savoir appréhender la complexité.

Entre culture générale et grands enjeux du monde

Agathe Mezzadri-Guedj souligne aussi un autre enjeu : la lecture comme antidote à l’addiction au téléphone et aux réseaux sociaux. Dans une génération souvent coupée du réel par les écrans, l’IA et les plateformes, la littérature offre un appui concret. « On lit moins aujourd’hui », constate-t-elle, tout en refusant de renoncer aux auteurs qui, depuis des siècles, questionnent des thèmes toujours actuels : l’argent, la diversité, l’inclusivité ou encore les rapports de pouvoir.

Un autre objectif de ces cours est d’entretenir la culture générale, un enjeu essentiel dans la socialisation actuelle et future des étudiants. Les thématiques évoluent au fil des ans, mais quelques grands axes demeurent : l’argent, l’Homme et la machine à l’heure de l’IA, la diversité, l’inclusivité…

« Tout est bon pour diffuser le savoir et la littérature », rappelle l’enseignante. Si la grande école de management se concentre sur des savoirs professionnalisants, la prépa littéraire travaille davantage la connaissance en profondeur. Entre les deux, elle cherche à créer un pont.

Une pédagogie ludique pour capter l’attention

“Il faut redoubler d’efforts pédagogiques et ludiques pour intéresser les étudiants”, affirme Agathe Mezzadri-Guedj. Valoriser le plaisir, l’immersion et l’expérience constitue pour elle un moyen efficace de capter l’attention d’un public très sollicité. Tout au long du cours, elle propose d’ailleurs des suggestions de lectures ou d’adaptations modernes -de Frankenstein à Quasimodo- qui prolongent les thèmes abordés.

Cette démarche structure tout le dispositif : faire dialoguer deux univers souvent opposés, dont la rencontre enrichit la réflexion et éclaire différemment les pratiques professionnelles.

Diversité, équité, inclusion : décryptage du cours du jour

Le thème de la séance observée, « Diversité, équité et inclusion », s’ouvre par une définition claire de ces notions et par la manière dont elles structurent aujourd’hui le fonctionnement des organisations. Agathe Mezzadri-Guedj montre ensuite comment la littérature, grâce au récit et au storytelling, permet de saisir ces enjeux autrement, en apportant une dimension sensible souvent absente des approches purement managériales.

Références littéraires : un miroir des dynamiques professionnelles

Les œuvres mobilisées servent avant tout à illustrer des situations de discrimination, de pouvoir ou d’exclusion que l’on retrouve également dans le monde du travail. Qu’il s’agisse de personnages marginalisés, de rapports hiérarchiques ou d’identités assignées, ces récits donnent à voir les mécanismes qui influencent aussi la vie en entreprise : biais, stéréotypes, inégalités de traitement, difficultés d’intégration.

Des exemples contemporains rappellent que les trajectoires sociales, les représentations collectives ou l’origine perçue continuent d’influer sur les carrières et la reconnaissance des compétences, malgré le discours sur l’égalité des chances. La littérature met ces mécanismes en scène de manière concrète, facilitant leur compréhension.

Pouvoir, responsabilité et prise de décision

En étudiant certains classiques, Agathe Mezzadri-Guedj aborde la relation entre pouvoir et responsabilité, les positions centrales ou marginales, ainsi que les abus qui peuvent en découler. Ces dynamiques éclairent les réalités managériales : tensions hiérarchiques, logique de domination, dérives institutionnelles. La littérature offre ainsi un espace pour explorer différents points de vue et comprendre comment se construisent ou se défont les leaderships, une compétence essentielle pour de futurs managers.

Inclusion et représentations : quel rôle pour la fiction ?

Le cours interroge également la capacité des récits à proposer des visions réellement inclusives. Même lorsque ces représentations sont imparfaites, elles permettent d’identifier les limites des structures sociales et les obstacles que rencontrent celles et ceux qui tentent d’y trouver leur place. Ces réflexions font écho aux préoccupations actuelles des organisations : diversité, égalité d’accès, transformation culturelle.

Décentrement et empathie : compétences managériales clés

Agathe Mezzadri-Guedj mobilise aussi des œuvres qui provoquent un décentrement du regard et obligent à adopter d’autres perspectives. Comprendre la position de personnages éloignés de soi, se confronter à leurs contraintes, à leurs émotions et à leurs angles morts : autant d’exercices qui trouvent un écho direct dans la gestion d’équipe, la communication interpersonnelle ou les ressources humaines. La littérature devient alors un outil d’empathie et d’intelligence relationnelle.

Le pouvoir du storytelling

Enfin, la professeure rappelle que les récits -littéraires, cinématographiques ou personnels- structurent nos représentations du monde. Ils influencent ce que l’on valorise, ce que l’on invisibilise, ce que l’on considère légitime. Comprendre cette mécanique narrative est indispensable pour toute organisation qui souhaite agir sur sa culture interne, son leadership ou sa communication.

Au fil de la séance, les étudiants découvrent comment les histoires, qu’elles soient antiques, classiques ou contemporaines, offrent des clés pour penser l’inclusion, la responsabilité, l’altérité ou le leadership : autant de compétences centrales pour le manager de demain.

À lire aussi, sur Thotis : NEOMA Business School : tout savoir sur les oraux PGE

NEOMA prépas : heure des résultats, épreuves orales et interprétations rangs 2026 (ECRICOME)

“La littérature reprogramme nos imaginaires”

En clôturant la séance, Agathe Mezzadri-Guedj rappelle le rôle essentiel de la fiction : un outil puissant pour déplacer les regards et interroger les normes, capable de “reprogrammer nos imaginaires”. Elle en souligne toutefois les limites : la fiction ne suffit pas, à elle seule, à transformer durablement les mentalités.

Elle laisse les étudiants avec une question qui résonne particulièrement dans une école de management : “Si les managers lisaient davantage de récits de diversité, seraient-ils de meilleurs décideurs, de meilleurs managers ?”

Une interrogation ouverte, qui prolonge le lien entre littérature et formation à la prise de responsabilité.