Comment cette filière d’excellence ouvre les portes d’HEC et de l’ESCP aux bacheliers professionnels ?
Abdelkbir à l’ESCP, Sauzon à HEC Paris. Deux parcours qui semblaient improbables il y a encore quelques années. Issus de bacs professionnels, ces jeunes étudiants ont intégré les écoles de management les plus prestigieuses de France grâce à la classe préparatoire ECP. Portrait d’un dispositif unique qui bouscule les codes de l’élitisme républicain et prouve que la méritocratie peut encore fonctionner.
Sur le campus d’HEC, Sauzon Bidet, 20 ans, savoure son café entre deux cours. À quelques kilomètres, sur le campus parisien de l’ESCP, Abdelkbir Benaboud révise ses examens. Rien d’extraordinaire, si ce n’est que ces deux étudiants ont un profil rarissime dans le top 3 des Business Schools françaises : ils sont titulaires d’un baccalauréat professionnel.
« Quand j’étais en bac pro, je ne connaissais même pas HEC », confesse Sauzon. « J’étais destiné à devenir vendeur en boutique. » Abdelkbir, arrivé d’Italie à quinze ans sans parler français, acquiesce : « Mes professeurs m’avaient orienté vers un BTS en gestion-administration. L’idée d’intégrer une grande école ne m’avait même pas effleuré. »
Pourtant, trois ans plus tard, Sauzon devient le premier bachelier professionnel à intégrer HEC Paris, tandis qu’ Abdelkbir décroche la meilleure note parmi les candidats ECT admis à l’ESCP. Leur secret ? Une classe préparatoire encore méconnue du grand public : la prépa ECP.
Orientation : retrouve notre page dédiée aux Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE), sur Thotis
Un dispositif pensé pour les bacs pro
La classe préparatoire ECP (Économique et Commerciale Voie Professionnelle) est une filière d’excellence créée spécifiquement pour les bacheliers professionnels des filières commerce et gestion. Contrairement aux classes préparatoires traditionnelles, elle s’étale sur trois ans au lieu de deux, avec une première année entièrement dédiée à la remise à niveau.
« C’est presque du cours particulier », explique Sauzon. « Nous étions seulement 13 élèves en première année. Les professeurs avaient vraiment le temps de s’occuper de chacun d’entre nous. » Cette année charnière permet aux étudiants d’acquérir les fondamentaux dans des matières qu’ils n’ont jamais étudiées : philosophie, économie approfondie, mathématiques avancées, droit.
Les deux années suivantes, les élèves ECP rejoignent une classe préparatoire ECT classique, aux côtés d’étudiants issus de bacs technologiques STMG. Même statut, mêmes professeurs, mêmes concours. « À partir de la deuxième année, il n’y a plus aucune différence », précise Abdelkbir. « On est tous des étudiants en classe préparatoire, point. »
Une pédagogie adaptée, des exigences identiques
Si l’année de remise à niveau est pensée pour combler les lacunes, les attentes académiques restent élevées. « Les professeurs ne nous ont jamais ménagés », raconte Sauzon. « On nous mettait face à nos responsabilités. Le message était clair : vous voulez intégrer les grandes écoles ? Alors il faut travailler. »
Et le rythme s’intensifie progressivement. Abdelkbir se souvient : « En première année, je travaillais une à deux heures par jour en plus des cours. En troisième année, c’était quatre à cinq heures par jour en semaine, et dix heures par jour le week-end. Au total, environ 50 heures de travail hebdomadaire. »
Les matières enseignées sont identiques à celles d’une prépa ECT classique : économie et droit (épreuve majeure au concours), management, mathématiques appliquées à la gestion, culture générale et philosophie, deux langues vivantes. « Ce qui change vraiment par rapport au bac pro, c’est qu’on développe une vraie curiosité intellectuelle », souligne Abdelkbir. « Chaque jour, on apprend de nouvelles choses. C’est cette soif d’apprendre qui fait toute la différence. »
Des enseignants investis, bien plus que des professeurs
Interrogés sur les facteurs clés de leur réussite, Sauzon et Abdelkbir citent spontanément leurs professeurs. « Sans eux, je ne serais pas là », affirme Abdelkbir avec émotion. « C’était plus que des profs. C’étaient des personnes en qui je pouvais avoir une totale confiance. »
Madame Moulet, Monsieur Guillec, Madame Estroni, Madame Dawn pour Abdelkbir. Madame Rémy, Monsieur Alliot pour Sauzon. Ces noms reviennent comme autant de figures tutélaires. « Madame Rémy, c’est elle qui m’a donné le premier espoir sur le fait que je pouvais apprécier l’école et être fort », se souvient Sauzon.
Pour Abdelkbir, le déclic est venu de Madame Moulet, venue présenter la filière ECP dans son lycée : « Elle m’a montré qu’il existait une autre voie que le BTS. Elle m’a donné une chance que je n’aurais jamais imaginée. »
Cette relation de confiance s’avère déterminante dans les moments de doute. « Les deux premières semaines, j’avais la boule au ventre », confie Abdelkbir. « Je me demandais si je n’aurais pas mieux fait de choisir un BTS. Mais en parlant avec les professeurs et mes camarades, j’ai compris que je devais rester. »
Découvre notre page dédiée aux Prépas Économiques et Commerciales !
Quand l’impossible devient envisageable
Au début, ni Sauzon ni Abdelkbir ne visaient les écoles parisiennes. « Moi, je voulais juste intégrer Neoma, comme ma sœur », explique Sauzon. « C’était déjà un rêve immense. HEC, je ne connaissais même pas. » Puis, progressivement, les résultats aux concours blancs changent la donne. « C’est en fin de première année que j’ai réalisé que les Parisiennes étaient atteignables », raconte Abdelkbir. « J’ai discuté avec Selim, un ECT qui avait été admis à HEC. C’est lui qui m’a fait comprendre que j’avais ma chance. » Pour Sauzon, l’ambition grandit au fil des mois : « Petit à petit, en rentrant mes notes dans un simulateur d’admissibilité, je me suis dit qu’il y avait peut-être moyen. L’idée était folle : je suis le premier bac pro à rentrer à HEC ; mais c’est ça qui m’a plu. Je me suis accroché à ce rêve. »
Un rêve qui nécessite de ne jamais se créer de plafond de verre. « Le piège absolu, c’est de se dire : j’ai fait un bac pro, donc je ne peux pas viser les Parisiennes », insiste Abdelkbir. « Par le travail, la motivation et la détermination, tout devient possible, même l’impossible. »
L’épreuve des concours : aucune différence de traitement
Aux écrits comme aux oraux, les candidats ECP passent exactement les mêmes épreuves que les autres préparationnaires. « Je n’ai pas ressenti de difficultés particulières en tant qu’élève de bac pro », affirme Abdelkbir. « Le jour du concours, face à ta copie, tu ne te demandes pas si tu es bac pro, bac général ou bac techno. Tu es juste concentré sur ton épreuve. »
Les attendus sont clairs : capacité de synthèse, analyse approfondie des sujets, maîtrise de la langue écrite et orale. « Il faut être un couteau suisse », résume Sauzon. « Pas de gros point faible, et d’excellentes notes sur les épreuves très coefficientées : maths, management, économie-droit. »
Le stress reste le même pour tous. Sauzon se souvient d’un réveil en pleine panique à 3h30 du matin : « J’ai appelé ma mère en panique, persuadé que j’allais rater ma note de synthèse. Quand on donne tout pendant trois ans, la peur de l’échec est immense. »
Les oraux réservent aussi leur lot de surprises. À HEC, Sauzon découvre des épreuves atypiques : « Le thème peut être l’amour fou, par exemple. Il faut faire une dissertation dessus. C’est très surprenant et il faut être bien préparé. » Heureusement, ses professeurs ont fait l’effort de se renseigner sur chaque épreuve et de les préparer avec des oraux blancs.
Après l’admission : une intégration réussie
Une fois admis, la question de l’intégration se pose. Vont-ils ressentir un syndrome de l’imposteur ? Seront-ils acceptés par leurs camarades issus de milieux plus favorisés ?
« Pas du tout », tranche Sauzon. « Les gens étaient très contents de voir qu’un parcours comme le mien pouvait exister. Ils me disaient : bien joué, tu l’as mérité. J’ai même été assez médiatisé pour parler de mon parcours, et les retours étaient très positifs. »
Abdelkbir reconnaît un « petit choc social » – « je ne viens pas d’une classe sociale favorisée »- mais pas académique. « À l’ESCP, j’avais déjà vu 45 % de ce qu’on étudie en première année grâce à la prépa. Il y a même un écart favorable pour nous. » Le séminaire de pré-rentrée à Chamonix pour HEC, baptisé « Raison d’être », permet aussi de nouer rapidement des liens. « Dès le début, on est séparés en petits groupes. Ça permet de s’intégrer facilement », note Sauzon.
Aujourd’hui, Sauzon effectue un stage à la direction de la trésorerie financière chez Vinci. « C’est un immense plaisir de remettre les mains dedans, comme en bac pro. Cet équilibre théorie-pratique, je le retrouve à HEC. » Abdelkbir, lui, envisage une spécialisation en finance d’entreprise : « Au-delà de l’aspect financier, ce secteur offre des débouchés importants. »
À lire également sur Thotis, en lien avec cet article : L’APHEC s’associe à Thotis Prépa pour valoriser le continuum CPGE – Grande École et promouvoir les classes préparatoires auprès des lycéens
L’ascenseur social fonctionne encore
À l’heure où les études sur la reproduction sociale se multiplient, où l’on déplore la fermeture des élites, la prépa ECP apporte une réponse concrète. Non, le bac professionnel n’est pas une voie de garage. Oui, l’excellence est accessible à tous, à condition de mettre en place les moyens pédagogiques adaptés.
« Cette filière est une vraie source d’inspiration, un ascenseur social qui marche vraiment », affirme Abdelkbir. « Au début, certains professeurs ou certaines personnes avaient des doutes. Mais on a montré que c’était possible. »
Pour Sauzon, l’essentiel n’est pas tant le prestige du diplôme que la transformation personnelle : « Ce n’est pas tant le fait d’être entré à HEC qui compte. C’est vraiment d’être changé en tant qu’humain. Je ne suis plus la même personne qu’avant la classe préparatoire. C’est ce que je dois à mes professeurs et aux rencontres que j’ai faites. »
Un parcours qui prouve que, dans certaines conditions, la méritocratie républicaine peut encore fonctionner. Mais qui pose aussi une question : pourquoi de tels dispositifs restent-ils si rares ? Pourquoi la prépa ECP demeure-t-elle si méconnue ?
« Si j’avais su que ça existait plus tôt, j’aurais visé cette voie dès le début », confie Sauzon. Son message aux lycéens en bac pro est limpide : « Ne vous créez pas de plafond de verre. Par le travail, tout devient possible. »
REPÈRES :
La prépa ECP en bref
• Durée : 3 ans (1 an de remise à niveau + 2 ans de prépa ECT)
• Public visé : Bacheliers professionnels des filières commerce et gestion (bac pro commerce, gestion-administration, aujourd’hui Agora)
• Effectifs : Classes de 13 élèves maximum en première année, pour un suivi personnalisé
• Matières enseignées : Économie, droit, management, philosophie, culture générale, mathématiques, deux langues vivantes dont l’anglais (qui peut être pris en LV2)
• Concours : Les mêmes que la voie ECT (banque d’épreuves communes)
• Écoles accessibles : HEC, ESCP, ESSEC, emlyon, EDHEC, Audencia, Grenoble EM, Neoma, et toutes les écoles recrutant sur concours BCE et Ecricome
• Résultats : Taux d’intégration comparable aux prépas ECT classiques, avec des admissions régulières dans le top 5
Leurs conseils pour réussir
Sauzon et Abdelkbir partagent leurs méthodes de travail éprouvées :
• Utiliser des outils numériques : « J’ai utilisé Anki, une application de flashcards qui permet de réviser de façon espacée et régulière. On ne peut pas tout apprendre du jour au lendemain en prépa. » (Sauzon)
• Relire ses copies : « Ça fait mal, surtout quand on se compare à ses amis, mais c’est essentiel pour comprendre ce qui pêche et progresser. » (Sauzon)
• Avoir un lièvre : « Mon meilleur ami Timothée courait juste devant moi. J’avais tellement envie de le rattraper. Cette émulation positive nous a permis de rentrer ensemble à HEC. » (Sauzon)
• Travailler régulièrement : « Il faut avoir un planning, s’organiser. En troisième année, je travaillais 4-5 heures par jour en semaine, 10 heures le week-end. » (Abdelkbir)
• Ne jamais se fixer de limites : « Le piège absolu, c’est de se créer un plafond de verre en se disant qu’avec un bac pro, on ne peut pas viser les Parisiennes. Par le travail, tout devient possible. » (Abdelkbir)
• S’appuyer sur ses professeurs : « Dans les moments de doute, les profs étaient là. Plus que des enseignants, c’étaient des personnes de confiance. » (Abdelkbir)


