Après un bac mention très bien obtenu au lycée Jean-Jacques Rousseau (95), Pierre a choisi le Cycle Pluridisciplinaire d’Études Supérieures au sein de l’Université PSL (Paris, Sciences & Lettres). Suite à une année de master à l’Université Paris Dauphine – PSL, il a intégré le programme d’entrepreneuriat de Berkeley et Schoolab au cours de sa césure. Il a également fait six mois de service civique au sein du collectif Different Leaders de l’association Article 1.
Avant de faire tes choix d’orientation, as-tu eu des doutes au lycée ?
Au lycée j’ai eu énormément de doutes ! Tout d’abord, j’ai eu du mal à choisir entre les filières S et ES. D’un côté, j’avais d’excellentes notes en Sciences et de l’autre j’étais passionné par les SES. J’ai décidé de suivre mes passions et je ne le regrette pas aujourd’hui !
Ensuite, pour le choix post Bac, ce fut extrêmement compliqué ! En entrant au lycée mon rêve était juste d’avoir mon bac pour rendre fier ma famille. Je voulais juste les rendre fiers ! Mais mon professeur de SESJ, Monsieur Cherfi, m’a dit que j’avais du talent et que je ne devais pas m’autocensurer. Il m’a parlé de Science Po et Henri IV. Je n’ai pas osé tenter sciences Po et je n’avais pas terminé ma candidature pour le CPES. Mais la direction du CPES m’a appelé pour me demander de compléter mon dossier. Résultat des courses, j’ai été admis au premier tour au CPES et en prépa ECE à Henri IV.
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Aujourd’hui avec le recul, quel message donnerais tu aux lycéennes et lycéens ?
Tout d’abord, je dirais qu’il faut croire en soi car c’est le premier pas vers la réussite ! Ensuite, que le premier pas vers la connaissance c’est la connaissance de soi ! Si on connait ses faiblesses, ses envies, ses qualités on sera davantage en mesure de faire les bons choix lors de Parcoursup. Enfin, je pense qu’il faut toujours suivre ses passions, c’est le meilleur moyen d’exceller et d’être heureux !
Mon parcours montre que tout n’est pas écrit à l’avance et qu’il faut croire en ses rêves. Toutefois, il révèle aussi qu’on ne part pas tous avec les mêmes chances. Du fait de mon origine sociale, j’ai dû faire face à certaines difficultés.
Pourquoi as-tu choisi le CPES, le Cycle Pluridisciplinaire d’Études Supérieures ?
Le CPES est une licence qui combine l’exigence des classes préparatoires et une formation pour et par la recherche. Il s’agit d’une formation pluridisciplinaire qui propose une spécialisation progressive. Il y a trois filières : Humanités (lettres), SESJ et Sciences. Pour ma part, j’ai fait la filière SESJ et je me suis spécialisé en économie et en sociologie.
J’ai choisi le CPES car il répondait à toutes mes attentes ! Je ne voulais ni faire une prépa ni faire une fac. Or, le CPES offrait un cursus pluridisciplinaire alliant une spécialisation progressive avec l’exigence d’une classe préparatoire mais sans la pression des concours. Enfin, il y avait des logements gratuits pour les boursiers à la cité internationale universitaire.
Par ailleurs, Paris Sciences et Lettres rassemblent des établissements tels que l’ENS Ulm, l’Université Paris Dauphine, l’école des Mines Paristech, l’ESPCI et l’ENA. Ainsi, au cours du CPES j’ai pu avoir cours au lycée Henri IV, à l’ENS Ulm, l’Université Paris Dauphine et à l’école des Mines Paristech.
En première année, on a vraiment la possibilité de découvrir dans quelle discipline on veut se spécialiser (arts, histoire, géo, math, philo, économie, droit, sociologie, recherche, journalisme, etc). À la fin du CPES, j’ai pu obtenir deux licences : celle de Dauphine en économie appliquée et celle du CPES majeure économie mineure sociologie et droit.
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Comment s’organisait ton emploi du temps ?
Cela a varié en fonction des années. En première année, nous avions environ 30 heures de cours par semaine et au début je vivais chez ma mère. Généralement, je me levais à 5H20 pour arriver en cours à 7H45 vu que l’on commençait à 8H. Je rentrais chez moi à 19H30 environ et je dormais à 22H30. Mais de manière générale je n’avais pas une organisation planifiée à l’avance. Je m’accordais toujours du temps pour lire, regarder des mangas et faire du sport. En semaine, j’essayais de bosser 1H au minimum après les cours et 3H30 les jours de week-end ou de vacances.
As-tu eu des difficultés ?
Au début de ma première année du CPES, je vivais chez ma mère à 1H30 d’Henri IV et à l’époque les bus dans le Val d’Oise n’étaient pas aussi fréquents qu’ils ne le sont aujourd’hui. De ce fait, je devais me lever à 5H20 chaque matin et je rentrais vers 19H30 en général. J’ai fait le choix de dormir tôt pour être attentif en cours mais en contrepartie je révisais uniquement dans les transports et lors des pauses déjeuner. Lorsque j’ai emménagé à la cité internationale universitaire cela s’est arrangé scolairement.
Toutefois, en troisième année, il y a eu un changement de politique temporaire au sein du CPES pour les logements. Nous devions payer une partie du loyer avec les APL. Le problème était que j’aurais mis ma mère en difficulté en les demandant. Ainsi, je n’ai pas pu payer mon loyer durant plusieurs mois et j’ai été menacé d’expulsion. Je n’étais donc plus vraiment concentré sur mes études. Heureusement, avec l’aide de certains professeurs, ma situation a pu être réglée au deuxième semestre.
L’autre difficulté c’est qu’au CPES j’ai dû apprendre à travailler et à m’organiser. Au lycée, je bossais uniquement le mercredi et le week-end mais au CPES j’ai dû faire face à une forte exigence. Nombre de mes camarades avaient une énorme force de travail. J’ai dû augmenter progressivement mes heures de travail et apprendre à faire des sacrifices (moins de sports, moins de sorties et de séries).
En quoi le CPES t’a-t-il « forgé » ?
Le CPES, par son exigence, m’a permis de me constituer un mental d’acier et une grande force de travail. Ensuite, j’ai pu faire face à une certaine violence symbolique notamment au lycée Henri IV et à l’ENS. J’étais l’un des rares banlieusards mais j’ai appris à faire de mes différences une force. Ma singularité me permettait de me distinguer lors d’oraux ou de devoirs, j’apportais un regard différent. Je garde encore aujourd’hui cette habitude. L’enseignement pluridisciplinaire du CPES et le fait d’avoir évolué dans des établissements différents m’a donné une réelle capacité d’adaptation.
Après ces trois années, tu as fait un master à l’université Paris Dauphine, peux-tu revenir sur cette expérience ?
Ce fut une expérience difficile ! D’une part, je travaillais à coté de mes études pour pouvoir économiser de l’argent et d’autre part, je passais beaucoup de temps dans les transports. De plus, ce fut une année de doute, je me posais des questions sur mon avenir. Je n’étais plus sûr de vouloir faire de l’économie, ce qui m’a poussé à faire une année de césure. Mais ces difficultés m’ont permis de renforcer mon mental et ma capacité d’organisation.
Enfin, tu as suivi un programme d’entrepreneuriat à la Silicon Valley, quel était ton projet ?
Lorsque j’ai postulé au programme d’entrepreneuriat de Berkeley et Schoolab, ma volonté était de sortir de ma zone de confort et de découvrir une nouvelle culture pour mieux cerner la personne que je voulais devenir et voir ce que j’avais dans le ventre. Au moment de ma candidature, mon projet était de créer une startup qui aurait pour but de réduire les inégalités en banlieue parisienne et au Sénégal.
Comment s’est faite la sélection ?
Il y avait 3 phases. Tout d’abord, la phase dossier (lettre de motivation, CV, notes, niveau d’anglais). Ensuite, un entretien de motivation et de personnalité avec Schoolab par l’intermédiaire de Margot Watine, la responsable du programme. Enfin, un entretien en anglais avec David Law, le responsable du programme d’entrepreneuriat de Berkeley.
Quels souvenirs gardes-tu de ton expérience à Berkeley, en Californie ?
J’en garde des souvenirs incroyables ! J’ai fait des rencontres inspirantes et incroyables ! Le campus était gigantesque et l’énergie qui s’en dégageait me donnait l’impression que tout était possible ! Cette aventure m’a permis de prendre confiance en moi et m’a donné envie d’agir davantage.
As-tu une anecdote à nous raconter sur ton voyage en Californie ?
C’est lors de ce programme que j’ai rencontré Emmanuel Kinzonzi ! Nous avons grandi dans la même cité (puits-la-malière) à Villiers-le-Bel mais nous ne nous étions jamais croisés. Aujourd’hui, je le considère comme mon grand frère et il est une réelle source d’inspiration pour moi.
Découvre l’interview Thotis d’Emmanuel Kinzonzi
Aujourd’hui, quels sont tes projets ?
Je souhaite devenir chercheur entrepreneur social afin de contribuer à la lutte contre l’autocensure. J’aimerais faire de la recherche sur des thématiques mêlant sciences cognitives, sociologie et économie.
3 souvenirs marquants depuis le bac ?
Je dirais lorsque j’ai reçu le prix égalité des chances qui m’a été décerné par le département du Val d’Oise pour récompenser mon parcours scolaire et mon engagement social.
Ma remise de diplôme à Berkeley le jour de mon anniversaire. Ce jour-là, je me suis rappelé tout le chemin parcouru par ma mère qui a quitté le Sénégal quelques mois avant ma naissance pour me donner une meilleure vie ! Je me suis remémoré ses paroles lors des émeutes de Villiers-le-Bel en 2007 : je voulais manifester dans les rues mon mécontentement mais ma mère m’a dit « Pierre, je n’ai pas quitté l’Afrique pour que mon fils finisse en prison. Tu es pauvre, de banlieue et noir, ton seul moyen de réussir est l’école. Tu es doué à l’école mais tu dois travailler deux fois plus que les riches pour avoir la moitié de ce qu’ils ont ! Fais de ton talent ton moyen d’expression ». Ces mots raisonnent souvent dans ma tête lors de moments difficiles.
Enfin, le dernier souvenir est ma prise de parole lors de la première réunion de la convention ZEP du CPES. Cette convention était nouvelle et j’ai pu échanger avec certains élèves. Je me suis rendu compte qu’ils me donnaient plus que je ne leur donnais. Ils me donnaient de la force pour travailler encore plus et humblement contribuer à la lutte contre l’autocensure.
Ton parcours prouve-t-il que tout est possible, y compris quand on est un élève dans un lycée public du 95 ?
Je dirais que mon parcours montre que tout n’est pas écrit à l’avance et qu’il faut croire en ses rêves. Toutefois, il révèle aussi qu’on ne part pas tous avec les mêmes chances. Du fait de mon origine sociale, j’ai dû faire face à certaines difficultés qui ont ralenti ma progression. Mais des parcours comme celui d’Emmanuel, le mien et tant d’autres montrent que la jeunesse du Val d’Oise a du talent.
Un dernier mot ?
Je conclurai en disant qu’il ne faut pas avoir peur de l’échec car l’échec d’aujourd’hui prépare la réussite de demain ! Il faut voir la réussite comme une course avec des moments difficiles et garder pour essentiel non pas le point de départ mais la ligne d’arrivée.
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