Quelles sont les prochaines évolutions pour les écoles d’ingénieurs ? Jacques Fayolle, directeur de Mines Saint-Étienne et président de la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs a répondu à nos questions.
Par Morgan Verres
En quoi consiste la CDEFI ?
La Conférence des Directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs a pour mission de représenter les écoles d’ingénieurs et les universités de technologie auprès de l’Etat, de l’Union européenne et des organisations internationales. Elle accompagne des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs dans l’exercice de leurs fonctions, met à disposition toutes les informations utiles au développement et à la stratégie des établissements, elle prend également position publique sur tout sujet lié à l’enseignement supérieur et à la recherche. Aussi, la CDEFI promeut des formations et des métiers de l’ingénierie en France et dans le monde, défend les intérêts des écoles françaises d’ingénieurs et organise de temps de rencontre et d’échanges : assemblée générale mensuelle, commissions de travail, séminaires, rencontres thématiques.
Comment la CDEFI uniformise-t-elle les écoles d’ingénieurs ?
La CDEFI ne cherche pas à uniformiser les écoles d’ingénieurs. La richesse des écoles d’ingénieurs réside justement dans leurs différences et spécificités. Notre objectif est de porter la voix des écoles et de transmettre leurs attentes. Nous sommes à l’interface entre le législatif et les attentes des écoles.
Comment définir une école d’ingénieurs en 2022 ?
Une école d’ingénieurs est tout d’abord une structure de formation délivrant des diplômes d’ingénieurs. C’est assez particulier dans le monde. En France, nous sommes les seuls à organiser nos écoles autour d’un triptyque bien précis :
– Une formation avec une certaine exigence académique.
– Une relation permanente avec la recherche (la majorité de nos enseignants sont des enseignants chercheurs).
– Une relation permanente avec les entreprises (les écoles proposent des mises en situation professionnelles très fortes).
C’est ce triptyque (formation-recherche-entreprise) qui fait de nos écoles d’ingénieurs des écoles uniques dans le monde. Nous sommes à la pointe de l’innovation, avec des alumni ayant un bon niveau à la fois académique et scientifique, capables de s’insérer immédiatement sur le marché du travail. C’est ce triptyque-là qui fait l’excellence des écoles d’ingénieurs en France.
Quels sont les atouts de ces écoles finalement ?
D’une part, les atouts des écoles d’ingénieurs résident dans leur agilité et dans leur efficacité. Nous sommes la seule structure de l’enseignement supérieur à être complètement piloté par la relation industrielle. En effet, nos présidents du conseil d’administration sont des chefs d’entreprise, ce qui renvoie à cette idée d’être à l’interface direct avec le monde de l’entreprise.
Cette agilité se traduit également par l’adaptation de nos enseignements en fonction de la société. En effet, les compétences pour lesquelles nous formons aujourd’hui sont liées aux attentes des entreprises. Ces attentes évoluent et nous nous efforçons d’adapter nos programmes pour être toujours au plus près des besoins des entreprises. Cette remise en question permanente est l’une des forces de nos écoles.
Est-ce qu’il y a un profil type pour intégrer une école ?
Si vous m’aviez posé cette question il y a 10 ans, je vous aurais répondu oui. Effectivement, nous recherchions uniquement des étudiants avec parcours en mathématiques et en physique au lycée. Aujourd’hui, le profil type recherché est en train de s’élargir. Avec l’hybridation des compétences, l’ingénieur d’aujourd’hui peut, par exemple, autant toucher aux problématiques liées au développement durable qu’à la Fintech (la technologie des finances). Pour répondre à cette demande de multi-compétences, nous recherchons aujourd’hui des étudiants ayant des compétences supplémentaires (design, management…).
Toutefois, il va de soi que nous manipulons des concepts scientifiques, donc nous demandons toujours que nos étudiants soient à l’aise avec les mathématiques.
Avec la réforme du baccalauréat, il semble que vous essayez d’accueillir davantage de profils différents. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de baisser le niveau scientifique ?
Nous ne voyons pas l’ouverture des écoles d’ingénieurs sous cet angle. En effet, nous restons très sélectifs lors de nos admissions. La pression à l’entrée reste suffisamment forte pour que ce risque soit faible. Au contraire, nous voyons cette diversité des profils comme une ouverture et une augmentation de la richesse du niveau.
En revanche, l’ouverture des écoles d’ingénieurs à des profils davantage hybrides peut nous confronter à un besoin de remise à niveau, ou d’enseignements complémentaires. De ce fait, certaines de nos écoles ont inséré en début de cursus, des parcours de formations adaptés aux différents types de profils. Un étudiant n’ayant pas fait, ou très peu, de physique au lycée, ne sera pas perdu.
Avant, nous étions sur un modèle de tronc commun auquel se greffait une spécialisation. Aujourd’hui nous sommes sur un modèle de diversité dès le début de la formation et ce jusqu’à la fin de celle-ci. Le tronc commun quant à lui se situe en milieu de parcours.
Pourquoi les écoles d’ingénieurs sont-elles des formations d’excellence ?
Les écoles d’ingénieurs françaises sont des formations d’excellences car elles sont reconnues comme telles par les employeurs. De plus, si nous nous penchons sur les thèses, plus de la moitié de celles réalisées en sciences et technologies se font au sein des écoles d’ingénieurs. Cela témoigne de l’innovation dans laquelle nos écoles sont à la pointe et dans le système de création de nouveaux profils scientifiques dans laquelle nos écoles s’inscrivent.
Est-ce vrai qu’il y a une pénurie d’ingénieurs ? Comment cela s’explique avec les 205 écoles ?
Il est vrai que nous manquons d’ingénieurs en France. Chaque année, nous comptons environ 44 000 nouveaux diplômés alors que le marché de l’emploi en absorberait 55 000. Cela signifie qu’il manque environ 10 000 ingénieurs chaque année. Cela s’explique par le manque de moyen financier dans nos formations. Nous avons fait des propositions aux candidats des élections présidentielles pour leur expliquer que les écoles d’ingénieurs avaient besoin de plus de professeurs et de davantage de moyens afin de former plus d’ingénieurs.
Il y a désormais les Bachelors, comment considérez-vous ces nouvelles formations ? Sont-elles en concurrence avec les prépas ou les BUT ?
Je ne parlerais pas de concurrence car ce sont des formations de natures différentes. Les Bachelors en sciences en ingénieries, par exemple, sont des formations professionnalisantes et courtes. Ces formations ont été créées pour répondre à un besoin exprimé par les entreprises. Elles viennent compléter le spectre des formations courtes mais elles ne sont en aucun cas des premiers cycles. De ce fait, les Bachelors ne sont pas comparables aux classes préparatoires par exemple.
Pourquoi choisir une école d’ingénieurs et non un master à l’université par exemple ?
Nous ne sommes pas sur le même type de formation : la relation avec les entreprises dans le cadre d’un master est totalement différente à celle entre une école d’ingénieurs et le monde de l’entreprise.
Le master à l’université est une formation beaucoup plus académique et théorique. En école d’ingénieurs, il y a davantage de pratiques. De plus, le taux de sélection à l’entrée des deux formations, n’est pas le même.
Quels sont les futurs objectifs de la CDEFI ?
Notre objectif est de réunir toutes les conditions possibles afin que nous puissions former plus d’ingénieurs en France. Cela passe notamment par la création de nouveaux diplômes dans les nouveaux secteurs émergents.